Les contradictions de Mélenchon et la crise de leadership de la gauche française

Francoise Riviere
9 Min Read

La France insoumise (LFI), le parti de Jean-Luc Mélenchon qui domine aujourd’hui la gauche française, se veut le porte-drapeau du féminisme et de la régénération démocratique en France. Deux épisodes survenus ces dernières semaines remettent en question le fait que certains de ses dirigeants soient à la hauteur de ce qu’ils proclament et exigent des autres. Les Insoumis, comme on appelle les membres de la LFI, n’ont eu de cesse de dénoncer les attitudes sexistes et les abus présumés de politiciens d’autres partis. Et à juste titre. Mais lorsqu’il est apparu en septembre que le député Adrien Quatennens, un de leurs poids lourds, avait giflé sa femme, dont il se séparait, Mélenchon n’a rien trouvé de mieux que de louer sa « dignité » et son « courage » pour avoir reconnu les faits.
La réaction du leader a déconcerté certains dirigeants du parti et ses électeurs. Quatennens, considéré pendant un temps comme le suppléant de Mélenchon, s’est temporairement retiré de son siège. Le 13 décembre, il a été condamné à quatre mois de prison avec dispense de peine et à 2 000 euros de dommages et intérêts pour son ex-partenaire. Le parti l’a exclu du groupe parlementaire, mais seulement jusqu’en avril, lorsque la peine aura été purgée. Une fois de plus, la décision de le réadmettre a mis mal à l’aise de nombreux insoumis, ainsi que des socialistes, des écologistes et des communistes, partenaires juniors de LFI dans l’alliance de gauche qui, depuis les élections législatives de juin dernier, forme le principal bloc d’opposition à l’Assemblée nationale.
La pratique démocratique de LFI a également été mise en doute. Mélenchon promeut, avec des arguments plausibles, une réforme de la Cinquième République, l’actuel régime constitutionnel français qui accorde au président des pouvoirs inhabituels dans les grandes démocraties modernes. Mais l’appel en France pour moins de verticalité dans l’exercice du pouvoir et plus de délibération ne s’applique pas à son propre parti, où il impose un style vertical avec des décisions qui manquent de transparence. L’annonce, le 10 décembre, d’une nouvelle direction élue selon un processus opaque a provoqué une nouvelle crise interne. Elle a fini par laisser de côté des personnalités au profil novateur mais en dehors du cercle de confiance de Mélenchon et de ses pratiques politiques traditionnelles. Les mélenchonistes n’honorent pas non plus la meilleure tradition de la gauche lorsque leurs députés, mais pas les socialistes, les écologistes et les communistes, s’abstiennent de voter pour soutenir l’Ukraine et condamner l’invasion russe.
La particularité de la France par rapport à des pays voisins comme l’Espagne ou l’Allemagne est que le parti dominant de la gauche est son aile la plus populiste et radicale. Le parti socialiste, hégémonique depuis des décennies, manque de force parlementaire. Mais l’affaiblissement du LFI et de ses alliés, six mois seulement après un résultat électoral remarquable, est un avertissement sur les risques d’une social-

démocratie en voie d’extinction.
Jean-Luc Mélenchon n’est pas exactement l’incarnation de la finesse politique. Connu pour son caractère impulsif, les coups de tonnerre du leader de LFI sont souvent mémorables et provoquent des sentiments mitigés au sein de son parti, allant de l’admiration pour une forme de bravoure et de rébellion contre le pouvoir établi à la honte pure et simple face à ce qui est souvent considéré comme de la pure démagogie. Toutefois, dans une formation où le soutien inconditionnel au patron a toujours été la règle suprême, les sentiments mitigés de ses membres n’ont pas eu tendance à se transposer dans le débat public. Les Insoumis ont parlé d’une seule voix. Unis dans la lutte et dans la communication. Jusqu’à ce qu’un tweet, le 18 septembre, vienne briser en mille morceaux la discipline collective sacrée du parti.
Ce jour-là, Mélenchon a exprimé sur le réseau social son soutien à Adrien Quatennens, qui a reconnu avoir giflé sa femme dans le cadre d’un « divorce compliqué ». Un geste violent qu’elle a dénoncé dans un commissariat et que la police a divulgué à l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné, provoquant une vague d’indignation pour un dirigeant dont le parti a fait de la lutte contre les violences de genre l’un de ses emblèmes. « La malveillance policière, le voyeurisme médiatique, les réseaux sociaux se sont invités dans le divorce conflictuel d’Adrien et Céline Quatennens. Adrien décide de tout prendre sur lui. Je salue sa dignité et son courage. Je lui dis ma confiance et mon affection », a écrit l’homme politique.
Au-delà de l’incrédulité provoquée par le lexique utilisé par le chef des Insoumis pour décrire son dauphin (« dignité », « courage »), et de « l’invisibilité grammaticale », et dans une situation où il laisse la victime, il est choquant qu’un leader de son importance ait décidé de détruire le capital politique de son parti sur la question des violences masculines avec un seul tweet. Encore moins compréhensible est la délégitimation implicite, par ses propos, d’une lutte, la lutte féministe, qui a déjà suffisamment d’ennemis pour qu’elle soit torpillée par la gauche elle-même. C’est ce qu’a souligné l’écrivaine et militante Caroline de Haas sur le réseau social, rappelant au dirigeant le caractère normatif de la parole publique et son danger lorsqu’elle banalise ou invisibilise les violences de genre basées sur l’affectif, le personnel, sur ce réflexe malheureusement si commun en politique de se protéger les uns les autres. « Les violences au sein du couple sont intolérables, quels que soient les conflits qui existent. J’exprime mon soutien à Céline. Je prends acte des excuses et du retrait d’Adrien de ses fonctions au sein du mouvement. Tout mon soutien aux femmes victimes, partout dans le monde. », a écrit De Haas sur Twitter, reproduisant la réaction que Mélenchon aurait dû avoir, selon lui, face à cette affaire.
Alors que Mélenchon et ses plus fidèles lieutenants débattaient à gauche et à droite de la question de savoir si un homme qui gifle une femme est intrinsèquement violent ou non, focalisant le débat sur la « nécessité » de graduer et de hiérarchiser les actes en question pour éviter de créer des « tribunaux populaires », les jeunes figures du parti ont décidé pour la première fois de se démarquer de ce discours et de fuir toute forme de justification. Sur les 75 députés de la LFI, seuls deux ont retweeté le message du chef suprême et certains ont même osé exprimer ouvertement leur mécontentement, comme le député Andy Kerbrat, 31 ans : « Mon total soutien à Céline #Quatennens, les VSS sont intolérables dans tous les cas ! Et doivent être combattues dans la société comme dans nos mouvements. Nous prenons acte du retrait d’Adrien : Une décision que tout responsable politique devrait assumer dans ce contexte. », a-t-il tweeté.
En France, seuls 4% de la population disent faire pleinement confiance aux partis politiques pour lutter contre les violences sexistes, selon un récent sondage de l’institut Ifop. Cela n’est guère surprenant dans un pays où les cas de violence sexuelle au sein de la classe politique se comptent par dizaines. Actuellement, les réactions conservatrices généralisées, l’exemplarité politique et la défense sans complexe de l’égalité des sexes sont essentielles. Et le chef des Insoumis le sait. Il ne lui reste plus qu’à le mettre en pratique s’il ne veut pas voir son parti s’écraser contre un mur appelé MeToo.

Jean Luc Melechon en visite au festival du livre au grand palais epehemere a Paris le vendredi 22 avril 2022 Jean Luc Melechon visiting the book fair at grand palais ephemere in Paris friday 22 2022
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