Pourquoi la France inscrit le droit à l’avortement dans la Constitution?

Francoise Riviere
10 Min Read

La France est devenue le 4 mars le premier pays à inscrire explicitement dans sa Constitution le droit à l’avortement, au grand dam du Vatican. Députés et sénateurs réunis en Congrès au château de Versailles ont approuvé à une très large majorité la modification de la Constitution proposée par le gouvernement du président Emmanuel Macron.

Si la presse, le gouvernement et la gauche institutionnelle assurent qu’il s’agit d’une victoire, que contient réellement cette mesure dont Macron espérait tirer profit à la veille du 8 mars, journée internationale pour la protection des droits des femmes ?

Mais, alors que Macron se félicite en affirmant sur X « Fierté française, message universel », plusieurs questions méritent d’être posées. Comment un gouvernement aussi réactionnaire, qui a passé les sept dernières années à passer des contre-réformes antisociales et des lois racistes comme la loi Immigration, a-t-il pu avoir un soudain réveil de conscience féministe ? Comment une partie de la droite et de l’extrême-droite s’est décidée à voter pour le droit à l’avortement ? Une mobilisation puissante aurait-elle forcé la droite à jouer contre son camp ?

Droit à l’avortement : de l’exception à la Constitution

Emmanuel Macron avait fait de cette réforme l’une des promesses phares du volet sociétal de sa politique ces derniers mois, embrassant les différentes initiatives parlementaires de la gauche, soutenue par la majorité.

Le projet de loi sur le droit à l’avortement, présenté en application de l’article 89 de la Constitution, avait été annoncé par le chef de l’État fin octobre 2023. Il faisait suite au vote par le Parlement en février 2023 d’une proposition de loi constitutionnelle, qui nécessitait l’organisation d’un référendum pour être définitivement adoptée.

Le texte avait été voté sans modification par les députés le 30 janvier 2024 par 493 voix contre 30, puis par les sénateurs le 28 février 2024 par 267 voix contre 50 et 22 abstentions. Plus de 170 amendements avaient été déposés à l’Assemblée nationale. Deux amendements avaient été discutés au Sénat : le premier visait à supprimer le terme « garantie » après le mot « liberté » et le second proposait d’inscrire dans la Constitution la clause de conscience des professionnels de santé.

Le 4 mars 2024, le Parlement, réuni en Congrès, avait très largement approuvé le projet de loi par 780 voix contre 72 et 50 abstentions.

Le 8 mars 2024, la loi avait été scellée dans la Constitution lors d’une cérémonie publique au ministère de la justice, en présence du Président de la République.

La loi constitutionnelle du 8 mars 2024 comporte un article unique, qui modifie l’article 34 de la Constitution pour y inscrire que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Constitutionnalisation du droit à l’avortement : calcul politique de Macron

En 2022, le choc de la révocation soudaine de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, ouvrant la voie à l’interdiction de l’IVG, interruption volontaire de grossesse, dans plus de la moitié du pays, avait marqué en France le début d’une campagne pour la constitutionnalisation du droit à l’avortement, menée par les associations féministes et les élues de gauche au Parlement. Si Macron avait annoncé dès 2022 son intention de répondre à cette demande, la droite et l’extrême-droite ont imposé deux ans de tractation parlementaire pour que la mesure puisse être votée.

Cependant, il n’y a pas eu de mouvement de masse pour la constitutionnalisation du droit à l’IVG. Comme le souligne Libération dans une note, ce sont les associations féministes et certaines élues de gauche qui ont choisi d’en faire une campagne politique. Or, si celle-ci a pu aboutir, c’est que la Macronie a finalement décidé d’en tirer parti et la droite a accepté un compromis très minimal concernant la modification de la constitution.

Avec ce tournant, il s’agit principalement pour Macron d’un moyen de redorer son blason, largement sali par les dernières actualités. Celui qui règne à coup de 49.3, s’attaque aux organisations écologistes, antifascistes et de soutien aux femmes en menaçant de couper leurs subventions pour avoir soutenu la Palestine, a grand besoin de se donner du crédit auprès d’une partie de son électorat. Un enjeu d’autant plus brûlant à l’approche des élections européennes, dans lesquelles la majorité espère rejouer le scénario du « rempart du progressisme » contre la droite et l’extrême-droite. C’est dans cette perspective que Macron a décidé d’appuyer la démarche.

Et le Président entend en profiter à fond comme le montrent ses réactions ou l’organisation d’une cérémonie officielle pour sceller le droit dans la Constitution.

Les opposants fustigent le droit de supprimer une vie humaine

Le Vatican a vivement critiqué l’inscription du droit à l’avortement dans la loi fondamentale française, arguant qu’il ne peut y avoir de « droit » à supprimer une vie humaine.

«A l’ère des droits humains universels, il ne peut y avoir de droit à supprimer une vie humaine», a affirmé dans un communiqué l’Académie pontificale pour la Vie, organe du Vatican chargé des questions bioéthiques, en soutien à l’opposition des évêques de France.

L’Académie pontificale pour la vie lance un appel «à tous les gouvernements et à toutes les traditions religieuses pour qu’ils fassent de leur mieux afin que, dans cette phase de l’histoire, la protection de la vie devienne une priorité absolue, avec des mesures concrètes en faveur de la paix et de la justice sociale». Elle n’oublie pas les situations particulières ou les contextes dramatiques, qui doivent «être traités en se fondant sur un droit qui vise avant tout à protéger les plus faibles et les plus vulnérables».

Les opposants au droit à l’avortement ont de leur côté manifesté à Versailles, ralliant plus de 500 personnes qui ont appelé à protéger la vie. Des adolescentes ont collé des photos d’échographies devant lesquelles les manifestants ont déposé des roses blanches, «symboles de résistance».

Droit à l’avortement : le paradoxe de la démarche gouvernementale

En effet, le fait que la « liberté des femmes d’avorter » soit inscrite dans la Constitution n’empêchera en rien le gouvernement Macron d’entraver l’accès des femmes à leurs droits reproductifs : les coupes budgétaires records dans la santé, occasionnant fermetures de maternités et suppressions de lits dans des proportions inédites à l’hôpital, ainsi que les politiques réactionnaires de la Macronie qui font monter les idées de l’extrême-droite au sein de la population, sont autant d’attaques qui devraient dissuader les élus féministes de parler si vite de « victoire ».

Pour de nombreux observateurs, la déclaration triomphaliste du gouvernement s’agit plutôt d’une illusion institutionnelle qui pourrait être dangereuse. En effet, la Constitution compte déjà bien des droits formels totalement ignorés : la protection de l’environnement, le droit de travailler et d’obtenir un emploi, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. La présence de ces points dans la Constitution n’a pas empêché le démantèlement du droit du travail par des lois successives, la destruction de l’environnement, la délocalisation des industries, la précarité et le mal-logement.

Ainsi, la manœuvre du gouvernement et son opération de communication sur le droit à l’avortement masquent mal la politique réelle du gouvernement, spécialiste dans l’instrumentalisation des droits des femmes, mais aussi à l’origine de leur précarisation croissante.

Dans une période marquée par diverses manipulations du concept même de la famille comme le noyau sociétal, la précarisation de la majorité de la population et la destruction des services publics qui affectent directement les droits des femmes,  l’introduction du droit à l’avortement dans la Constitution renvoie à légaliser un crime aux profondes conséquences sociétales qui vont de la destruction du noyau familial au déséquilibre démographique en passant par la vulgarisation du génocide.

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