Ecrit par Michelle Toussaint
Les français ont participé aux urnes pour les élections régionales le mois dernier. Les 20 et 27 juin, les électeurs ont élu les conseils régionaux de la France métropolitaine et d’outre-mer. Les résultats ont été à la fois surprenants et inattendus. On a beaucoup parlé d’une bataille entre les partis du président Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, candidats à l’élection présidentielle de 2022, mais c’est la vieille garde qui a remporté la victoire. Les partis établis ont fait un retour en force face à une abstention record remarquable. Que s’est-il passé exactement lors de ces élections ? Avec une élection présidentielle à l’horizon, qu’indiquent-elles pour l’avenir ?
Dans un sens, les résultats finaux ont été peu enthousiasmants : aucune région n’a changé de mains. La droite a conservé les sept qu’elle avait précédemment, et la gauche contrôle toujours les cinq autres. Tous les présidents de région dans les grands centres urbains ont conservé leur siège, et les résultats dans l’ensemble étaient très similaires à ceux des dernières élections régionales de 2015.
Il s’agissait essentiellement d’un maintien du statu quo, malgré les prédictions selon lesquelles l’extrême droite ne remporterait pas moins de six des 13 régions françaises et que Macron consoliderait ses cinq années au pouvoir par des sièges. Comme l’a dit Le Monde, c’était la « revanche de l’Ancien Monde », car les partis traditionnels de gauche et de droite ont rebondi après l’arrivée au pouvoir de Macron en 2017. À droite, l’ancien ministre Xavier Bertrand a fait irruption dans la région des Hauts-de-France avec 64,7 % des voix. Valérie Pécresse a été confortablement réélue dans la grande région parisienne, et Laurent Wauquiez a été reconduit avec 66,7 % des voix en Auvergne-Rhône-Alpes.
Les élections régionales ; un moyen de consolider le pouvoir avant le vote présidentiel.
Les Républicains (LR), le principal parti de droite en France, observeront de façon particulière sur ces trois candidats en vue de l’année prochaine, en s’appuyant sur sa part de voix de près d’un tiers à l’échelle nationale. À gauche, les victoires confortables en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie seront un réconfort pour le Parti socialiste. Quelles sont donc les leçons à tirer de ces élections, si peu de choses ont réellement changé ? Une grande partie s’est concentrée sur le fait que ce fut une mauvaise période pour Macron et Le Pen, qui devraient tous deux accéder au second tour de l’élection présidentielle l’année prochaine.
À moins qu’un candidat ne remporte une majorité absolue au premier tour, le vote passe à un second tour, et les deux candidats ayant obtenu le plus de voix essayeront pour lutter dans ce tour. En 2017, c’était Macron et Le Pen, et les sondeurs prévoient le même résultat en 2022. Ces élections régionales ont été considérées comme un moyen de consolider le pouvoir avant le vote présidentiel. Sur ce plan, aucune des deux figures ne sera heureuse.
Les échecs d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen aux régionales
Le Rassemblement national (RN), le parti de Marine Le Pen, ne s’attendait pas à balayer la France entière, mais il avait de grands espoirs dans le sud. Il espérait remporter la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Son candidat, Thierry Mariani, avait la position la plus forte et était pressenti pour gagner. Mais il a perdu face au candidat LR Renaud Muselier avec 57% des voix au second tour. Mariani avait en fait gagné avec une petite marge au premier tour, mais comme c’est souvent le cas lorsqu’il s’agit de l’extrême droite française, une alliance de partis a travaillé ensemble pour la combattre. Mme Le Pen s’est montrée déçue, déclarant que la démocratie locale souffrait d’une « crise profonde », et elle a critiqué les « alliances contre nature » conclues entre les rivaux pour « nous empêcher de montrer que nous pouvons diriger une région. »
Le Pen a passé un mauvais tour, mais elle peut se consoler en constatant que son rival présidentiel n’a pas fait beaucoup mieux. Le parti du président, La République En Marche (LREM), n’a pas non plus réussi à attirer les électeurs. Bien qu’il ait présenté 14 candidats, dont des ministres de premier plan tels que Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, il n’a remporté de sièges dans aucune région. Dans de nombreuses régions, le parti a été éliminé dès le premier tour, obtenant à peine 7 % des voix.
Un espoir pour Les Républicains
Lorsque Macron a déposé son bulletin de vote au second tour au Touquet, il n’a pas pu voter pour son propre parti, car celui-ci ne s’était même pas qualifié pour le second tour. C’est une mauvaise performance pour les titulaires. On peut attribuer cette situation à la structure du parti très centralisé, et très personnalisé au président Macron. Il n’a pas les moyens de s’enraciner localement. Les chiffres sont embarrassants, mais pas très préoccupants pour Macron personnellement, bien qu’ils jettent un point d’interrogation plus inquiétant sur la possibilité que son parti obtienne une autre majorité parlementaire.
La forte victoire de la droite pourrait toutefois choquer les sondages de l’année prochaine. LR n’a pas encore choisi son candidat pour l’élection présidentielle, et les trois principaux vainqueurs de droite pourraient s’avérer des figures de proue attrayantes. Bertrand a confirmé qu’il espérait se présenter dans son discours d’acceptation. Ce résultat lui donne la force d’aller de l’avant et de lui présenter à toute la France. Selon un récent sondage, il est actuellement à 18% contre 24% pour Macron et Le Pen, s’il était choisi comme candidat, et la force de ce cycle électoral peut donner l’espoir à LR qu’ils pourraient déposer Macron.
Une participation en baisse par rapport aux élections régionales de 2015
Malgré les discussions sur un duel avec Le Pen, le conservatisme dominant est la seule force politique dont Macron a réellement peur, car elle a la meilleure chance de le vaincre. Le taux d’abstention record est peut-être la donnée la plus intéressante et la plus inquiétante. Au premier tour du scrutin, un sondage national a montré que 66,7 % des personnes éligibles n’ont pas voté. Au second tour, ce chiffre a légèrement baissé à 65,7 %, malgré les appels du Premier ministre Jean Castex à se rendre aux urnes. Les jeunes ont été particulièrement réticents à voter : 87 % des 18-24 ans se sont abstenus au premier tour. Il s’agit tout de même du plus grand nombre d’abstentions pour un scrutin sous la Cinquième République, et d’une baisse de participation de 16 points par rapport aux élections régionales de 2015.
Il est certes vrai que Covid-19 a joué un rôle important dans cette abstention record. 17% des répondants à un sondage ont aussi déclaré que la pandémie a joué dans leur décision de ne pas voter, mais il y a beaucoup plus que cela. Les élections qui se sont déroulées en Italie, aux Pays-Bas et en Allemagne au cours des 12 derniers mois ont vu la participation électorale atteindre des niveaux proches de la normale, et l’année dernière, les États-Unis ont enregistré le taux de participation le plus élevé depuis 1900. D’aucuns ont suggéré que cette baisse est imputable au fait que la France s’est déjà tournée vers l’élection présidentielle de l’année prochaine et les élections législatives qui suivront peu après. Certains ont également affirmé que les électeurs ne comprennent pas à quoi servent les élections et choisissent donc de les fuir.
La France et une démocratie malade
Mais pour de nombreux sondeurs et politologues, l’abstention spécifique française est le signe d’une crise française de la représentation et d’une apathie démocratique. “La démocratie française est malade”, a déclaré Emmanuel Rivière, de l’institut de sondage Kantar Public. “Les options politiques proposées sont devenues si difficiles à distinguer qu’elles donnent l’impression que la vie politique est une sorte de théâtre d’ombres, où les politiciens sont plus intéressés à se faire élire qu’à résoudre les problèmes qui préoccupent les électeurs.” Macron est arrivé au pouvoir en s’engageant à revigorer la foi des gens dans le processus politique. Cependant, en donnant l’impression que l’élection présidentielle est la seule qui compte, les électeurs ne voient pas l’intérêt de voter.
Nous devrions nous garder de trop prévoir à partir de ces résultats. Beaucoup de choses peuvent changer en 10 mois, et le taux de participation pourra élever en 2022. Deux choses, cependant, sont très claires. Le système politique français est clairement en train de se diviser, et les vieux partis établis prospèrent tout autant que le RN et LREM, dans certains cas, davantage. Cela indique que l’élection de 2022 ne se conclura peut-être pas par un face-à-face Macron-Le Pen, car la droite dominante est beaucoup plus forte que lors de la dernière élection, et la gauche progresse également.