Un homme de 30 ans est décédé vendredi 5 janvier à Paris après avoir reçu une dizaine de décharges de pistolet à impulsion électrique lors de son interpellation par la police à Montfermeil en Seine-Saint-Denis, la veille, nouvel exemple de violence policière et d’abus de pouvoir des forces de l’ordre en France.
D’après les premiers éléments de l’enquête cités par le parquet de Bobigny, dans la banlieue nord de Paris, six policiers ont fait usage de leur pistolet à impulsion électrique.
Ils étaient 18 fonctionnaires à intervenir dans une épicerie de Montfermeil jeudi, pour interpeller cet homme, en « état de surexcitation » et « d’agressivité », selon la même source. Hospitalisé en urgence à la Pitié-Salpêtrière, il était dans le coma depuis jeudi avant que la justice annonce son décès.
Deux enquêtes ont été ouvertes a indiqué le parquet. La première, sur l’intervention des policiers, a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale, IGPN, pour des faits de violence par personne dépositaire de l’autorité publique. La seconde doit se pencher sur les violences et menaces de mort à l’encontre des fonctionnaires. Cette dernière a été confiée à la Sûreté territoriale de la Seine-Saint-Denis. Ce nouvel incident a relancé le débat sur le nombre de personnes tuées par la police, la brutalité policière en France et les abus de pouvoir des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.
Le bilan alarmant des personnes tuées lors des interventions de la police
Selon le média français d’information en ligne indépendant « Basta », 746 personnes sont décédées entre 1977 et 2020 à la suite d’une intervention de la police en France, dont 61 femmes et 82 enfants de moins de 18 ans.
Sur 444 personnes tuées par balles, 253 n’étaient pas armées, tandis qu’une personne sur 10 est décédée pour cause d’asphyxie, indique le média « Basta ».
Sur la période 2010-2020, le nombre de morts est en hausse, passant de 10 en 2010 à 39 en 2022. Un nombre record de décès a été enregistré en 2021, avec 52 morts.
Ce sont des chiffres qui ont fait l’effet d’une bombe. 48 heures après le décès de Nahel, un mineur de 17 ans, tué par un tir à bout portant d’un fonctionnaire de police, Basta révélait des chiffres exclusifs sur les personnes décédées suite à une intervention policière. Depuis une dizaine d’années, le média indépendant en ligne recense, méthodiquement, toutes les personnes tuées lors d’une opération des forces de l’ordre.
Jamais, depuis 15 ans, autant de personnes ne sont mortes sous les balles des forces de l’ordre qu’en 2021 et 2022. Sur cette période-là, 44 individus sont décédés dans ce type de circonstances. C’est plus qu’entre 2010 et 2015 inclus, une année pourtant marquée par un très
fort contexte terroriste, où 41 personnes avaient succombé à la suite d’un tir policier.
Entre 2010 et 2016, 55 personnes ont été tuées par un tir d’un policier ou d’un gendarme. Entre 2017 et 2022, ce nombre s’élève à 86 ! En un an de moins, 31 personnes de plus sont mortes dans ces circonstances. Une conclusion qui renvoie au rang de mensonges éhontés les propos du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Ce qui interroge le plus c’est le nombre restant. 18 personnes ont donc été abattues par la police sans être armées en 2021 et 2022. Soit 41 % du total.
Dans une étude statistique publiée en septembre 2022, les chercheurs Sebastian Roché, Paul le Derff et Simon Varaine ont démontré que les tirs policiers mortels sur des véhicules en mouvement ont été multipliés par cinq après le vote d’une loi, en 2017, qui a assoupli l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre. Pour de nombreux analystes et organisations de défense des droits de l’homme, cet usage excessif est synonyme d’abus de pouvoir policier et un dérapage de la démocratie à la française.
Alertes internationales face aux abus de pouvoir policiers en France
De l’ONU aux grandes ONG de défense des droits humains, les institutions internationales s’inquiètent des abus des forces de l’ordre face aux citoyens ordinaires mais aussi les mouvements sociaux et les manifestants y compris ceux contre la réforme des retraites et des dangers pour les libertés fondamentales.
De manifestation en manifestation, la réponse de la police française inquiète aussi hors des frontières françaises les institutions et ONG internationales de protections des droits humains. « Dans le contexte du mouvement social contre la réforme des retraites en France, les libertés d’expression et de réunion s’exercent dans des conditions préoccupantes, déclarait le 24 mars la Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic.
La commissaire constate aussi que « des incidents violents ont eu lieu, dont certains ont visé les forces de l’ordre ». Mais elle ajoute que « la violence sporadique de certains manifestants ne peut justifier l’usage excessif de la force par des agents de l’État ». Dunja Mijatovic rappelle encore que « la première obligation de tous les États membres est de protéger les personnes sous leur juridiction et leurs droits humains ».
« L’usage excessif de la force par la police lors de manifestations n’est pas nouveau en France », note la chercheuse à l’ONG Human Rights Watch Eva Cossé. En décembre 2018 déjà, cette ONG avait documenté des blessures causées par des armes de la police lors des mobilisations des Gilets jaunes et de manifestations étudiantes, « notamment des personnes dont les membres ont été brûlés ou mutilés par l’utilisation de grenades lacrymogènes instantanées ».
Face à la situation en France, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) a aussi tenu à rappeler que les États « sont tenus à s’abstenir du recours
arbitraire à la force dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Ils ne peuvent y avoir recours qu’en dernier ressort. Et même dans ce cas, cela doit être fait de façon proportionnée, dans un objectif de maintien de l’ordre public et de sécurité. » Ce recours disproportionné à la force, autrement dit cet abus de pouvoir policier, soulève des similitudes frappantes entre les police française et américaine.
Américanisation de la police française
En 2016, un Malien de 24 ans nommé Adama Traoré, surnommé le « George Floyd français », est mort en garde à vue dans la région parisienne.
Les similitudes entre le sort d’Adama Traoré et celui de George Floyd démontrent des parallèles frappants entre les violences policières en France et aux États-Unis.
Les deux hommes noirs sont morts aux mains de la police et ont subi un plaquage ventral avant de mourir, qui les a empêchés de respirer normalement.
Par ailleurs, la mort du jeune Nahel tué par un policier lors d’un contrôle routier, mardi 27 juin, a attiré des accusations de la gauche selon lesquelles la police française aurait été « américanisée », alors même que la droite s’est concentrée sur la violence croissante des manifestants envers des forces de police assiégées. Le rapprochement avec les violences policières américaines ne date pas d’hier. Un reportage diffusé dernièrement à la télévision par des journalistes couvrant les interventions ou plutôt des abus de pouvoir des forces de l’ordre contre les manifestants écologistes à Sainte-Soline, a marqué les esprits. Les policiers y donnent l’impression de partir en guerre.
La comparaison avec le meurtre de l’Américain George Floyd par un policier, en 2020, à Minneapolis, lui aussi révélé par une vidéo tournée avec un téléphone portable, revient régulièrement dans la presse étrangère.
En réalité, en France comme aux États-Unis, la violence policière fait système. Il s’agit d’une violence qui touche les classes populaires dans leur ensemble, mais qui touche aussi principalement en leur sein les personnes noires, Roms, arabes, musulmans ou considérées comme telles.