On a beaucoup travaillé en France sur les grands thèmes permettant de comprendre la domination des hommes sur les femmes dans ces dernières années. Cependant, très peu de choses ont été présentées sur la façon dont les femmes vivent cette domination, ni sur le rôle qu’elles peuvent parfois jouer dans sa perpétuation. Cette lacune s’explique facilement : Les féministes ne veulent pas donner l’impression de rendre les femmes responsables de leur propre oppression. Mais d’autre part comprendre ce que la domination masculine fait aux femmes, et toute complicité qu’elle peut susciter, est une étape nécessaire pour parvenir à l’égalité et améliorer la condition féminine.
En général, lorsque nous pensons à la soumission en France, nous la voyons comme une renonciation à la liberté. On a cette idée que les hommes et les femmes naissent libres. S’ils ne sont plus libres, c’est qu’ils ont dû renoncer à leur état de liberté originel. Or, la philosophie beauvoirienne de la liberté nous montre qu’elle n’est pas quelque chose que l’on a, mais plutôt quelque chose que l’on conquiert, ou non. Et que la situation sociale dans laquelle nous nous trouvons rend cette conquête plus ou moins difficile. Cela nous permet de comprendre pourquoi la liberté coûte plus cher aux femmes qu’aux hommes. Et pourquoi la soumission peut apparaître comme une voie plus facile et moins coûteuse que la liberté pour les femmes dans notre société.
Peut-on attendre des hommes qu’ils fassent « le premier pas » et réclament l’égalité des sexes ?
Notre situation socio-économique façonne les possibilités qui nous sont offertes. Cela peut sembler un peu évident expliqué comme tel, mais c’est en fait assez profond. Cette situation actuelle nous permet de comprendre que nous avons tous ce que l’on appelle des « destins » sociaux. Lorsque on est dans une certaine situation, on est censé avoir un certain type de vie. Et la condition féminine est qu’elles sont destinées à se soumettre aux hommes en ces jours. Cela ne signifie pas qu’elles n’ont pas d’autres possibilités, mais plutôt que tout dans la société française est conçu pour qu’elles se soumettent.
La vraie question est de savoir si les femmes françaises peuvent la refuser. Comme la soumission est présentée aux femmes comme leur destin, il est difficile de résister. On peut s’efforcer de se soumettre le moins possible, mais l’éducation et la société en général conspirent pour donner aux femmes le goût de la soumission et les convaincre que les « vraies femmes » acceptent cette soumission.
Même les femmes les plus indépendantes et les plus féministes en France peuvent se surprendre à apprécier le regard conquérant des hommes, à désirer être un objet soumis dans les bras de leur partenaire, ou à préférer le travail domestique, les petits plaisirs d’un linge bien plié, d’une jolie table de petit-déjeuner, à des activités supposées plus épanouissantes. Ces désirs et ces plaisirs sont-ils incompatibles avec leur indépendance ? Trahissent-ils les siècles de féminisme qui les ont précédés ? Peut-on attendre des hommes qu’ils fassent « le premier pas » et réclament l’égalité des sexes ?
Les ambiguïtés de ces sujets sont flagrantes dans la vie de tous les jours ou lorsqu’on ouvre un magazine « féminin ». En même temps que les femmes sont appelées à être libres, à avoir leur propre carrière et à refuser tout traitement dégradant de la part des hommes, ces magazines débordent de conseils et de normes sur les meilleures façons d’être un objet sexuel attirant, une épouse serviable, une mère parfaite.
La féminité est présentée comme une norme souhaitable dans notre société
La soumission n’est ni dans la nature des femmes françaises ni dans leur destin final. Pourtant, le patriarcat, comme toutes les structures de domination sociale, crée des mécanismes pour se perpétuer, et la soumission des femmes en est un. La féminité est présentée comme une norme souhaitable dans notre société. La soumission est dépeinte comme une source de plaisir et de pouvoi. Et les dangers de la liberté des femmes sont constamment soulignés. La soumission des femmes est complexe : elle se produit au niveau individuel tout en étant influencée par la structure sociale. Il s’agit souvent d’une soumission à un homme en particulier, mais surtout d’une soumission à un ensemble de normes sociales. Elle peut être agréable tout en menant à des impasses désespérées.
C’était le constat de Simone de Beauvoir en 1949. Bien que la condition féminine en France se soit améliorée et que les formes de la soumission féminine aient évolué depuis, les femmes sont toujours dans une situation où la soumission apparaît comme un destin auquel il est plus facile de consentir que de résister. Ce constat ne doit pas être une raison de désespérer : reconnaître les formes et les appels de la soumission en nous-mêmes est sans doute un pas important sur le chemin de l’émancipation dans la société.
La soumission des femmes n’a pas été considérée comme contraire à la nature humaine
Le schéma de la domination nous permet de mieux cerner notre sujet. La soumission des femmes dans notre pays consiste à l’action ou la condition féminine lorsqu’elles participent, en tant qu’inférieures, à un rapport de domination auquel elles ne résistent pas. Cela implique de considérer la domination masculine non pas du point de vue des dominants, mais du point de vue de ceux qui se soumettent.
Au lieu de décrire la subordination des femmes de manière externe et objective, il s’agit de se demander ce que c’est pour une femme d’être une femme vivant dans la domination masculine et de décrire ainsi une expérience subjective, de bas en haut, de la domination. Ce n’est ne pas partir volontairement de l’idée que la soumission serait dans la nature des femmes, ou contre la nature des femmes, qu’elle serait immorale, ou le signe d’une fausse conscience opprimée façonnée par le patriarcat. Au contraire, il faut répondre à ces questions que, la soumission des femmes, comment elle se manifeste, comment elle est vécue, et comment elle peut être expliquée dans notre société.
Si l’on se concentre spécifiquement sur la soumission des femmes en France, le problème devient encore plus complexe. Historiquement, la soumission des femmes, contrairement à celle des hommes, n’a pas été considérée comme contraire à la nature humaine. Bien au contraire, la soumission est prescrite comme le comportement normal, moral et naturel des femmes. C’est parce que les femmes sont considérées comme incapables d’être libres comme les hommes, ou que cette liberté est perçue comme un danger potentiel, que leur soumission est bonne.
Ecrit par Michelle Toussaint