Décrypter la tension : les chiites du Niger et le passé colonial du Nigeria

Francoise Riviere
10 Min Read
30 July 2023, Niger, Niamey: Demonstrators take part in a march in support of the coup plotters in the capital, centered by a sign reading "Down with France, long live the CNSP" ("National Council for the Protection of the Fatherland"). After the coup in Niger, thousands pledge their support to the military. - recrop Photo: Djibo Issifou/dpa (Photo by Djibo Issifou/picture alliance via Getty Images)

La Guinée, le Mali, le Burkina Faso, la Centrafrique et maintenant c’est au tour du Niger. Un autre pays africain a dit Non aux ingérences de la France. L’allié le plus proche de la France et des Etats-Unis dans la région de Sahel est sorti du camp occidental, mettant en danger les intérêts des puissances occidentales en l’occurrence la France. Cet évènement, hautement révélateur d’un tournant stratégique dans la région du Sahel, est aussi l’occasion de revenir sur les combats des Musulmans et des Chiites contre l’Occident colonialiste.

Mohamed Bazoum, un ami de Macron, est écarté du pouvoir. L’Armée nigérienne, sur laquelle comptait le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken dans ses discours au cours de sa visite au Niger, a annoncé son soutien aux hommes du général Abdourahamane Tiani, le chef de la garde présidentielle depuis 2011, qui s’est proclamé le nouveau dirigeant du pays.

En tout état de cause, ce coup de force risque de changer fondamentalement les équilibres des forces au Sahel et pourrait mettre fin aux derniers privilèges de la France dans cette région. Reste à savoir quel a été le positionnement des Musulmans et plus particulièrement des Chiites contre l’Occident colonialiste.

Fin des alliances françaises au Sahel

Les coups d’État au Mali,  au Burkina Faso ou encore en Guinée ont affaibli les alliances de la France dans ses anciennes colonies et enhardi les populations ouest-africaines en quête d’indépendance et moins d’ingérence dans les affaires de leur pays.

A première vue, il semble qu’on assiste à la répétition d’événements conduisant à l’instabilité politique exogène dans les pays africains, des évènements dont les nouvelles se font entendre presque tous les mois. Des pays comme le Soudan et la Libye sont actuellement en proie à une telle instabilité, mais il semble que cette fois, l’enjeu va au-delà de ce genre de caricaturisation.

Loin de vouloir soutenir les militaires qui se sont emparés du pouvoir au Niger le 27 juillet, cette évolution est, avant tout, un signe de la volonté des peuples africains de s’émanciper du joug occidental. 1500 soldats français, ainsi que 1000 soldats américains se trouvent au Niger. Les mines d’uranium de ce pays sont pillées depuis des décennies par la société française, ex Areva, actuel Orao. Perdre ces ressources qui alimentent les centrales nucléaires de l’Hexagone sera une véritable catastrophe pour la France à l’heure de la grande crise de l’énergie en Europe due à la guerre en Ukraine.

Conformément à la définition de base, toute action militaire contre le gouvernement établi dans une unité politique peut être qualifiée de coup d’État, mais les événements qui se sont déroulés ces dernières années dans certains pays africains, même s’ils ressemblent à un coup d’État, ont un caractère anticolonial et  libérateur dans la mesure où ces coups de force renversent non pas des Etats mais des gouvernements fantoches. En ce sens, le soutien à ce que les médias occidentaux dénoncent de concert comme étant un « putsch » ne signifie pas soutenir des mesures militaires pour changer de gouvernement, mais plutôt ouvrir la voie à la manifestation de la volonté d’indépendance des peuples africains contre les néocolonialistes.

Prise de conscience africaine en quête d’indépendance

Il convient de noter que de nombreux pays africains – dont le Mali, le Niger et le Burkina Faso -n’ont cessé depuis les années suivant la déclaration officielle de la fin du colonialisme – de faire face à une importante ingérence étrangère de façon à ce que les intérêts des puissances coloniales ne soient pas mis en péril.

Produit d’un tel processus, le gouvernement Bazoum au Niger, qui bénéficiait du soutien direct de Paris et de Washington, est allé de mesure en mesure pour compromettre les intérêts nationaux du Niger et facilité le pillage continu de ses richesses nationales.

Dans ce contexte, la rébellion des militaires nigériens contre le gouvernement pro France peut-elle être évaluée autrement qu’une révolte contre le colonialisme et une tentative de restauration de l’indépendance du Niger ?En fait, la raison pour laquelle les médias mainstream mettent en exergue le mot coup d’État – dans les circonstances où ils ont été eux-mêmes au premier rang des plus grands partisans des putschistes dans différents pays du monde – est précisément parce qu’ils voient leurs intérêts en danger.

Malgré l’indépendance du Niger vis-à-vis de la France en 1957, les Français contrôlaient jusqu’à il y a quelques jours les ressources naturelles du Niger de différentes manières, à cette différence près par rapport aux années 60 que Macron a fait intervenir les Américains dans le jeu nigérien après 2017 date à laquelle une base US a été érigée à Agadez. Une base d’où n’ont cessé de décoller drones et avions pour aller larguer leurs bombes contre les populations civiles et ce au nom de la lutte contre le terrorisme.

Dynamique chiite dans la lutte contre l’Occident colonialiste

La révolte des Nigériens s’enracine donc dans un profond ressentiment anti colonialiste qu’illustre aujourd’hui le vaste soutien populaire à la junte militaire au pouvoir à Niamey. Et si ce sentiment se trouvait à tout hasard combiné à un aussi fort facteur sociétal que la religion si profondément enracinée en Afrique ? Après tout, c’est au nom de l’islam dont ils ont profondément dénaturée les enseignements que les services secrets occidentaux ont inventé les groupes salafistes comme l’Aqmi ou Ansar Islam pour les jeter à l’assaut des Sahéliens, les tuer, les jeter sur le chemin de l’exile ou encore occuper leurs terres. Remarquons que cette perspective n’est guère sans précédent sur le continent.

Une telle dynamique existe par exemple au Nigeria pays où certains grands chefs africains et éminents dignitaires religieux ont réussi à contrer les velléités néocoloniales des puissances occidentales en s’inspirant des enseignements de cette branche de l’islam qui recommande le soulèvement contre la tyrannie et qui se disent disciples du petit-fils du prophète, l’Imam Hossein.  Et ce sont précisément ces enseignements qui ont servi de base à la résistance historique des Chiites contre l’Occident colonialiste.

Selon une enquête du Pew Research Center, au Nigeria, la nation la plus peuplée d’Afrique, environ 12 % de la population musulmane se considèrent comme chiites. Ce nombre était proche de zéro en 1980. Le pourcentage atteint 21 % pour les musulmans du Tchad, 20 % pour la Tanzanie et 8 % pour le Ghana, selon cette même enquête.

Le Mouvement islamique du Nigeria (MIN), dirigé par le cheikh Ibrahim Zakzaki qui a été arrêté en 2015, aurait joué un rôle déterminant dans des millions de conversions à l’Islam chiite, car il a su bien exprimer cette révolte justicière inhérente au chiisme qui plait et qui attire des millions d’africains en quête d’une référence fiable contre les colonialistes. Le chiisme gère quelque 300 écoles locales et compte des millions de membres supplémentaires au Niger, au Cameroun, au Tchad, au Burkina Faso et au Ghana ce qui constitue un terrain propice à l’émergence des courants de résistance anti colonialistes identiques à ceux qui ont émergé ces quarre dernières décennies au Moyen Orient.

Conclusion

De manière générale, on peut dire que la tendance croissante de la population chiite au Nigéria et dans la région du Sahel offre une perspective appropriée pour l’expansion de la lutte anti coloniale.

Historiquement, les chiites se sont surtout établis sur les côtes. Ceux d’Afrique de l’Ouest viennent plutôt du Liban ou de Syrie et comptent des communautés très actives au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Liberia, en Sierra Leone et jusqu’au Sénégal. A l’heure où les Occidentaux menacent d’intervention militaire tout Etat ayant fait l’entorse à leur Loi, c’est là une belle idée à explorer. Car l’apparition d’une Résistance sahélienne, au cœur de l’une des régions les plus stratégiques du monde et économiquement vitale pour l’Occident revient à le dépouiller irréversiblement de ses objectifs néo-colonialistes.

Les populations du Sahel y compris les Chiites, de plus en plus conscients de ces objectifs de l’Occident colonialiste, ne permettront pas à la France et aux autres grandes puissances d’avoir une place dans la vision future des équations ouest-africaines. En conséquence, l’approche des anciennes puissances coloniales consistant à utiliser à la fois le pouvoir dur et doux pour continuer à piller les ressources de cette région ne pourra pas faire long feu.

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