Bernard Cazeneuve au procès des attentats de 2015

Remy Legaros
9 Min Read
Bernard Cazeneuve au procès des attentats du 13 novembre : la France et la menace terroriste

Le ministre chargé de la sécurité de la France au moment des attentats de 2015 à Paris, au cours desquels des islamistes radicaux ont tué 130 personnes, a déclaré mercredi à un tribunal qu’il était hanté par la question de savoir si les autorités auraient pu faire davantage pour les empêcher. L’ancien ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a défendu l’action des autorités, affirmant qu’elles avaient fait tout ce qu’elles pouvaient avec les informations disponibles, sa seule critique portant sur le manque de coopération transeuropéenne : « Pas un jour ne s’est écoulé depuis les attentats sans que je me demande si j’aurais pu faire quelque chose que je n’ai pas fait. Cette question me hante constamment. »

« L’islam radical est une forme de totalitarisme »

Mercredi, le procès des attentats de Paris a entendu Bernard Cazeneuve et François Mollins, le premier ancien ministre du gouvernement, le second ancien procureur général qui a lancé l’enquête sur les tueries de novembre 2015. Tous deux ont admis que des erreurs avaient été commises. Ni l’un ni l’autre ne savait qui était à blâmer pour ces erreurs. « L’islam radical est une forme de totalitarisme. L’objectif est d’abolir la liberté, la tolérance envers les autres, l’idée même d’une société ouverte. Il n’y a aucune explication ou justification à une telle idéologie. L’objectif est de semer la désolation de la manière la plus violente qui soit. »

Les événements survenus la semaine dernière au complexe de concerts du Bataclan et au stade de football du Stade de France ont marqué les six ans des attaques à l’arme à feu et à la bombe dans la capitale française. À l’époque, la France était déjà en état d’alerte après les attaques contre le personnel du magazine satirique Charlie Hebdo et un supermarché casher à Paris en janvier de la même année. Cazeneuve a déclaré que les autorités étaient particulièrement inquiètes d’une éventuelle attaque contre des écoles, mais qu’il n’avait jamais reçu d’informations sur une menace spécifique concernant la salle de concert du Bataclan, où 90 personnes ont trouvé la mort. L’attaque de six restaurants et bars, du Bataclan et d’un stade le 13 novembre 2015, dans laquelle des centaines de personnes ont également été blessées, a été l’attentat le plus meurtrier en France en temps de paix, laissant des cicatrices profondes.

Les services de renseignement français s’intéressaient activement à 941 terroristes potentiels ou connus au moment des attentats, a expliqué le ministre. Deux des meurtriers de novembre 2015, Sami Amimour et Ismaël Omar Mostefaï, faisaient l’objet d’une surveillance policière poussée en tant que radicaux islamistes présumés. Amimour a toutefois pu quitter la France pour la Syrie et revenir en Europe, malgré son contrôle judiciaire. Mostefaï est également parti en Syrie et est revenu sans encombre. Il figurait sur une liste de surveillance de la police en raison de son association avec une mosquée salafiste de la ville de Chartres.

Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attentats de 2015 et l’un des assassins de la terrasse, semble avoir pu circuler librement entre la zone de guerre syrienne et plusieurs destinations européennes, malgré sa participation notoire à des films de propagande de l’État islamique. Il a échappé aux polices française, belge et grecque avant d’être tué à Paris quatre jours seulement après les massacres de novembre. Salah Abdeslam, seul survivant des escadrons de la terreur et l’un des accusés dans ce procès, a notoirement passé sans encombre un contrôle de police sur le chemin du retour en Belgique le matin après les tueries de Paris.

«L’angle mort » de la coopération judiciaire européenne

L’ancien ministre de l’Intérieur revient sur une autre « polémique » : « la manière dont Salah Abdeslam a été arrêté le matin du 14 novembre 2015 ». La manière dont le seul membre survivant des commandos projetés par l’État islamique a été « contrôlé », corrige Bernard Cazeneuve. Au lendemain des attentats qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis, Salah Abdeslam s’est réfugié en Belgique, aidé par deux complices, également jugés à ses côtés. Contrôlé sur l’autoroute par les gendarmes français, Salah Abdeslam poursuit sa route et ne sera arrêté que quatre mois plus tard à Bruxelles. Cet échec est l’un des « angles morts » de la coopération judiciaire européenne de l’époque dénoncée par Bernard Cazeneuve. “Le cadre juridique en vigueur à l’époque ne permettait pas son arrestation”, résume l’ancien Premier ministre. “Le système de contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne était insuffisant”, admet-il. Interrogé sur son expérience personnelle du 13 novembre, il évacue à nouveau : « Ce que j’ai ressenti n’est rien comparé à la douleur insondable des familles ». C’est pourquoi il est « resté extrêmement discret » sur ses sentiments après cette nuit d’horreur, explique l’ancien ministre de l’Intérieur.

Parmi les 20 accusés des attentats de 2015, Salah Abdeslam est également le seul membre survivant de la cellule accusée d’avoir effectivement commis les attentats. Il est en détention provisoire. Treize autres personnes, dont dix sont également en détention, sont accusées de crimes allant de l’aide à la fourniture d’armes ou de voitures aux assaillants à la planification de leur participation à l’attaque. Six autres, pour la plupart des responsables de l’État islamique, seront jugés in abstentia pour avoir aidé à organiser les attaques. On pense que plusieurs d’entre eux sont morts depuis.

Le témoin : « les Français sont inconsolables »

L’armure finit par craquer lorsqu’on lui demande s’il a des « regrets », compte tenu de sa connaissance de l’état de la menace en France, confrontée en 2015 à une vague d’attentats sans précédent et à de multiples départs de ses ressortissants en Syrie. “Aurions-nous pu faire autrement ?” répondit le témoin. “Pas un jour ne s’est écoulé sans que je ne me sois demandé s’il y avait quelque chose que j’aurais pu faire que je n’ai pas fait. Cette question me hante tout le temps”. Il admet ensuite : “Malgré la mobilisation, des attentats ont eu lieu, des vies ont été brisées, les Français sont inconsolables”, poursuit l’ancien Premier ministre. “Je ne peux que m’interroger et je continuerai à m’interroger jusqu’à mon dernier souffle”, a-t-il encore dit. L’audition de l’ancien ministre de l’Intérieur a duré plus de trois heures. Ni le parquet national antiterroriste ni les avocats de la défense ne lui ont posé de questions.

La plupart d’entre eux risquent la prison à vie s’ils sont reconnus coupables. La responsabilité des attentats a été revendiquée par l’État islamique, qui avait exhorté ses adeptes à attaquer la France en raison de sa participation à la lutte contre le groupe militant en Irak et en Syrie. Le procès est passé aux témoignages de policiers, de fonctionnaires et d’universitaires, après des semaines au cours desquelles les survivants et les proches des victimes ont raconté des histoires dévastatrices sur les attentats et sur la façon dont ils tentent de s’en sortir depuis. Bernard Cazeneuve a été appelé à s’exprimer en tant que témoin. Le président français de l’époque, François Hollande, a témoigné la semaine dernière. Le procès a débuté en septembre et le verdict est attendu pour la fin mai.

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