Relations américano-saoudiennes : l’étrange volte-face de Riyad !

Francoise Riviere
9 Min Read

Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane aurait menacé les Etats-Unis d’une crise économique en raison des brouilles sur les questions pétrolières. Le niveau de tension sans précédent entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite est révélé par le Washington Post. Ces pays sont pourtant considérés comme des alliés de longue date. Ce document a été repéré par le quotidien américain dans le cadre d’une fuite sans précédent d’informations sensibles.

Selon le document classifié, qui a récemment fuité sur un serveur Discord et auquel se réfère le Washington Post, Mohammed ben Salmane dit MBS aurait affirmé qu’il ne traiterait plus avec l’administration américaine si cette dernière le sanctionnait suite à leur querelle pétrolière. Le prince héritier aurait même promis «des conséquences économiques majeures pour Washington».

Un porte-parole du Conseil de sécurité nationale américaine a déclaré que l’administration américaine n’avait pas connaissance de telles menaces de la part de l’Arabie saoudite.

En public, le gouvernement saoudien a poliment défendu ses actions par des déclarations diplomatiques, relate le quotidien. « Mais en privé, le prince héritier Mohammed ben Salmane a menacé de modifier fondamentalement la relation américano-saoudienne vieille de plusieurs décennies et d’imposer des coûts économiques importants aux États-Unis s’ils ripostaient contre les décisions pétrolières », écrit le Washington Post en se référant au document classifié.

Des propos, non datés, qui auraient été tenus suite à une mise en garde de Joe Biden en octobre 2022. Le locataire de la Maison Blanche avait menacé d’imposer des «conséquences » à l’Arabie saoudite pour sa décision de réduire la production de pétrole dans un contexte de prix élevés de l’énergie et d’élections imminentes aux États-Unis.

Pourtant, des mois plus tard, Biden n’a pas encore sanctionné ce pays, et le prince saoudien continue à dialoguer avec de hauts responsables américains. Le dernier exemple en date est la médiation américano-saoudienne dans le dossier soudanais.

Cette fuite intervient au lendemain de la visite officielle en Arabie saoudite du secrétaire d’Etat des Etats-Unis Antony Blinken. Malgré une discussion «franche et ouverte» durant son déplacement, les différends entre les deux pays n’ont de cesse de croître.

La visite de Blinken couronne un flux constant de réunions américaines de haut niveau dans le royaume ces derniers mois, y compris des voyages du conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, du directeur de la CIA William J. Burns, du principal conseiller de Biden pour le Moyen-Orient Brett McGurk et de son haut responsable de la sécurité énergétique Amos Hochstein.

En effet, alors que le secrétaire d’Etat américain était sur place, MBS et Vladimir Poutine se sont entretenus au téléphone. Ces révélations du Washington Post confirment bien la scission entre les deux alliés traditionnels.

Depuis 1945, Washington et Riyad sont liés par le pacte Quincy. En échange de la sécurité américaine, l’Arabie saoudite fournit du pétrole. Mais cette donne a bien changé. Le royaume saoudien ne répond plus si facilement aux exigences de Washington. A plusieurs reprises, depuis le début du conflit en Ukraine, les Etats-Unis espéraient que Riyad adopte une politique dure à l’égard de la Russie.

Or, non seulement l’Arabie saoudite ne s’est pas alignée sur le régime de sanction occidental, mais elle aurait de surcroît montré son intérêt pour les BRICS – groupe de pays dont fait partie la Russie – et s’est déclarée prête à dé-dollariser une partie de ses échanges commerciaux.

On ne sait pas si la menace du prince héritier a été transmise directement aux responsables américains ou interceptée par écoute électronique, mais son explosion dramatique révèle la tension au cœur d’une relation longtemps fondée sur le pétrole pour la sécurité, mais évoluant rapidement à mesure que la Chine s’y intéresse de plus en plus. Au Moyen-Orient et aux États-Unis, l’Arabie saoudite évalue ses propres intérêts en tant que premier producteur mondial de pétrole.

Les responsables américains affirment que la relation américano-saoudienne est trop importante pour la laisser s’effriter étant donné le poids économique et politique de Riyad et la cour de Pékin aux partenaires américains traditionnels au Moyen-Orient.

Le pays riche en pétrole a cherché à se présenter comme un acteur mondial non amarré à Washington. Ces derniers mois, Riyad a connu une déchirure diplomatique, mettant fin aux hostilités au Yémen, rétablissant les relations avec l’Iran, invitant le président syrien Bachar al-Assad à revenir dans la Ligue arabe après plus d’une décennie d’interdiction et mettant fin à son conflit régional avec le Qatar.

Les changements spectaculaires dans la politique étrangère saoudienne surviennent alors que Washington cherche l’aide saoudienne sur certaines questions régionales. Quelques jours avant l’arrivée de Blinken, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle aggraverait les réductions de production de pétrole en juillet en plus d’un accord plus large de l’OPEP Plus visant à limiter l’offre de pétrole dans le but d’augmenter les prix – une décision à laquelle s’oppose l’administration Biden.

La relation de l’Arabie saoudite avec la Chine, que les États-Unis considèrent comme son principal concurrent économique et sécuritaire, a également été évoquée lors de la conférence de presse de Blinken à Riyad. Le haut diplomate américain a nié toute suggestion selon laquelle les États-Unis obligeraient l’Arabie saoudite à choisir entre Washington et Pékin.

Un deuxième document de renseignement américain divulgué en décembre a averti que l’Arabie saoudite prévoyait d’étendre sa « relation transactionnelle » avec la Chine en achetant des drones, des missiles balistiques, des missiles de croisière et des systèmes de surveillance de masse à Pékin.

Toutes ces actions signifient le renforcement des relations saoudiennes avec les pays que les Etats-Unis et les pays occidentaux ont sanctionnés et l’administration américaine considère comme ses adversaires. Or, l’Arabie saoudite a renforcé ses relations avec la Russie et la Chine, ce qui montre que les autorités saoudiennes prennent des mesures conformément à leurs intérêts.

Il est clair que la nature des relations entre Riyad et Washington ne permet pas de couper les liens ou de s’affranchir de la dépendance l’une de l’autre, mais les mesures que les Saoudiens ont prises pour converger et renforcer les relations avec les rivaux et ennemis de les États-Unis comme la Chine, la Russie et l’Iran se placent pratiquement en dehors de la sphère américaine.

D’aucuns pensent que l’éloignement relatif de l’Arabie saoudite des États-Unis pourrait libérer les Saoudiens de la pression américaine visant à les contraindre de normaliser les relations avec le régime sioniste. D’autant plus que la Chine n’exerce aucune pression sur Riyad à cet égard et, contrairement aux États-Unis, ne considère pas la normalisation avec Israël comme une condition sine qua non pour coopération avec l’Arabie saoudite et n’est guère intéressée par le cas d’Israël dans la région.

De manière générale, l’Arabie saoudite a réalisé que l’ère de l’unipolarité dans le monde est bel et bien révolue et qu’on ne pourra plus compter uniquement sur l’alliance les Etats-Unis. Par conséquent, se tourner vers l’Est serait la meilleure option pour sortir de la spirale des crises actuelles.

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