Réforme des retraites 2023

Francoise Riviere
8 Min Read

La réforme des retraites a été présentée comme le premier grand test social du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Après des semaines d’attente, la réforme a été officiellement annoncée le 10 janvier, mais au final, peu de choses ont changé. Les divisions entre le gouvernement et les syndicats sont plus importantes que jamais.
D’une part, les ministres, Elisabeth Borné en tête, ont multiplié les interventions publiques ces dernières semaines pour justifier la réforme au nom des nécessités budgétaires, et d’autre part, ces derniers se sont opposés à plusieurs reprises au report de l’âge légal de la retraite, qui sera finalement de 64 ans en 2030.
Dans ce contexte, l’appel à la “mobilisation” des travailleurs se fait de plus en plus intense, les premières actions devant commencer dans la semaine du 16 janvier. Qu’attendez-vous de la prochaine confrontation sociale ?
À première vue, les obstacles aux grèves de grande ampleur semblent considérables : depuis les années 1970, le caractère controversé des grèves en France s’est largement effondré, surtout dans leurs formes les plus difficiles et les plus longues.
Si cette évolution peut être attribuée à la passivité des dirigeants syndicaux, elle peut aussi, et peut-être surtout, s’expliquer par divers facteurs socio-économiques : la désindustrialisation, la désintégration des collectifs de travailleurs, les tentatives des dirigeants d'”apprivoiser” les conflits du travail, la précarité croissante et l’endettement des ménages.
Au fil des ans, la participation aux grèves a eu tendance à se concentrer sur un nombre de plus en plus restreint de travailleurs dans les services publics et dans certains secteurs industriels, et a diminué jusqu’à atteindre des niveaux minimaux dans la plupart des communautés de travail, en particulier dans le secteur des services et dans les petites et moyennes entreprises. La dernière grande mobilisation interprofessionnelle de l’hiver 2019-2020, menée par les travailleurs des transports publics, l’a mis en évidence.
Cette diminution des grèves est directement liée à la réduction de la présence des syndicats. Le rôle des syndicats dans le déclenchement et l’organisation des conflits du travail reste central, bien que la présence de syndicats ne soit pas une condition préalable. Cependant, la transformation susmentionnée du travail et des entreprises, combinée aux réformes du “dialogue social”, a considérablement affaibli leur influence sur les travailleurs.

Dans tous les secteurs, la présence des syndicats est faible ou inexistante, et cette situation est souvent entretenue par l’attitude hostile des employeurs à l’égard de la syndicalisation. Dans les grandes entreprises industrielles, par exemple, les syndicats sont encore très présents et il y a même un renouvellement militant des adhésions.
Dans ce contexte, les syndicats ont désormais beaucoup de mal à transmettre et à mobiliser des revendications sur des questions communes telles que les pensions. Même dans les secteurs et les entreprises les plus syndiqués, les représentants ont souvent des liens faibles avec les syndicats dont ils sont membres. Dans d’autres secteurs, la distance avec les syndicats, leurs mots-clés et leurs méthodes de travail est encore plus grande.
Dans cette situation de fragmentation, les manifestations se sont imposées comme le principal répertoire des syndicats au cours des 30 dernières années. Cela peut également expliquer pourquoi d’autres acteurs collectifs ont émergé ces dernières années et ont concurrencé les syndicats dans la production et l’organisation des conflits sociaux. Les gilets jaunes en sont un bon exemple. Ce mouvement social de masse a mobilisé, du moins dans un premier temps, les franges de la classe ouvrière non organisées par les syndicats (travailleurs des EES/MME, travailleurs des emplois “soignants”, chômeurs, etc.) et leur méfiance à l’égard des structures syndicales (qui est encore plus réciproque), les manifestations de fin de semaine, les occupations tournantes, etc.
Cela signifie-t-il que les syndicats ont perdu la partie ? Il y a plusieurs raisons d’être prudent.

Tout d’abord, la reconnaissance des limites de la représentation syndicale et des difficultés bien réelles à mobiliser les travailleurs ne doit pas conduire à la “fin des syndicats” qui est régulièrement répétée depuis des décennies. Bien qu’affaiblis, les syndicats restent un facteur important dans les conflits sociaux, comme le montre leur rôle dans la plupart des grandes mobilisations des trois dernières décennies. Au moins pour l’instant, pour la première fois depuis 2010, toutes les organisations syndicales ayant des militants concernés par la réforme de l’assurance travail et rejetant fermement l’idée de l’allongement de la durée du travail seront impliquées dans ce conflit.
Deuxièmement, la période récente marquée par le retour des conflits salariaux sur le devant de la scène a fourni un terrain assez favorable aux syndicats. Le mouvement des “gilets jaunes” s’est d’abord concentré sur la question de l’augmentation des tarifs des carburants, mais il s’est également étendu à la révision du salaire minimum et à l’amélioration des conditions de vie, parfois rejeté comme un conflit du travail antisyndical ; à partir de 2021, à mesure que les prix augmentaient, en particulier dans les secteurs considérés comme moins controversés (supermarchés, transformation des aliments, etc.), les grèves réclamant des salaires plus élevés sont devenues plus actives.
Bien que ces conflits aient eu jusqu’à présent une dimension sectorielle et régionale, ils ont le potentiel de renforcer la “conscience salariale” et d’encourager l’identification d’intérêts communs entre différents secteurs du monde du travail fragmenté, et les syndicats peuvent bénéficier de cette dynamique. Au-delà de la France, on a assisté à une résurgence inattendue de l’influence de ce dernier dans des pays européens, comme le Royaume-Uni, où sa proéminence avait considérablement diminué depuis l’ère Chatter.
Dans ce contexte, la réforme du système de retraite a conduit les syndicats au bord de la crise, ce qui exige un double défi. D’une part, utiliser un cadre très unifié pour construire la mobilisation la plus large et durable possible, au-delà de quelques journées d’action prolongées, compte tenu de la fragmentation du monde du travail. D’autre part, il est nécessaire de réintégrer le rejet des réformes, qui est massif et indissociable de l’opposition générale de l’opinion publique aux politiques gouvernementales, dans le projet plus large d’émancipation sociale.
Depuis des décennies, les syndicats français tentent de définir plus clairement le monde de la politique et des relations industrielles, pour en faire leur espace exclusif. Cependant, force est de constater que cela n’a pas empêché le déclin de leurs racines sociales et de leur crédibilité symbolique. Par conséquent, l’une des clés du succès des syndicats dans la lutte pour les retraites réside également dans leur capacité à imaginer de nouvelles alliances et à élaborer des projets sociaux alternatifs avec d’autres forces sociales et politiques opposées au gouvernement, notamment la coalition de gauche récemment renforcée à l’Assemblée nationale.

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