La démocratie française survivra-t-elle à la crise des retraites de Macron ?

Francoise Riviere
8 Min Read

Tout comme “un bon début finit bien”, comme le dit l’adage, un mauvais début est susceptible de conduire à une fin plutôt mauvaise – c’est l’histoire de la réforme des retraites en France.La fameuse réforme, qui verra l’âge légal de départ à la retraite des travailleurs français passer de 62 à 64 ans, a été promulguée après des mois de protestations. Emmanuel Macron, qui avait fait de cette réforme une promesse de campagne en 2022, est maintenant prêt à passer à autre chose. Indépendamment de ce que l’avenir nous réserve, une chose est sûre : l’adoption de cette réforme a coûté cher sur le plan politique et a creusé le fossé entre les représentants du gouvernement et les électeurs. Il ne sera pas facile d’inverser la tendance.Selon les estimations du gouvernement, le système de pension serait confronté à un déficit de 150 milliards d’euros d’ici à 2030 si rien n’était fait. Il n’y a pas d’autre solution que de repousser l’âge légal de départ à la retraite et de demander aux Français de travailler deux ans de plus, selon le gouvernement, pour ne pas risquer de voir le niveau des pensions baisser ou les cotisations sociales augmenter. Et, comme le rappelle Macron, les Français ont eu la vie relativement facile par rapport aux pays voisins de l’Union européenne, où l’âge de la retraite se situe en moyenne à 65 ans.Pourtant, il n’est pas certain qu’il soit nécessaire de combler le déficit. Le Conseil d’orientation des retraites, qui publie chaque année un rapport sur l’état du système de retraite, a indiqué que le déficit se creuserait à court terme, mais que la situation se stabiliserait à plus long terme, une réalité attribuée à l’indexation du niveau des pensions sur l’inflation plutôt que sur les prix. Cette réalité est attribuée à l’indexation du niveau des pensions sur l’inflation plutôt que sur les prix. Or, l’inflation a toujours été, à l’exception des derniers mois, inférieure aux taux de croissance des salaires.Le gouvernement et l’opposition ont ensuite soulevé des questions juridiques auprès de la plus haute juridiction constitutionnelle française, qui a approuvé le projet de loi, estimant que l’accumulation d’outils constitutionnels était légale bien qu’inhabituelle.Quoi qu’il en soit, le gouvernement de M. Macron a fait passer la réforme début janvier, en dépit d’une forte opposition politique.Contre toute attente, après des années d’essoufflement sur fond de scène politique française et de divisions, les syndicats sont revenus sur le devant de la scène, plus unis que jamais dans leur lutte contre le relèvement de l’âge de la retraite. Une douzaine de manifestations nationales, dont certaines ont atteint le taux de participation le plus élevé depuis 30 ans, ont été organisées avec un message clair : la réforme doit être abandonnée.Le processus parlementaire par lequel la réforme est passée a alimenté encore plus la colère. Au nom de la rapidité et de l’efficacité, le gouvernement a fait un usage dangereux de plusieurs outils constitutionnels – la plaisanterie courante dans les cercles politiques est que les Français sont tous devenus des constitutionnalistes – à commencer par l’article 47-1, qui est consacré aux projets de loi de finances de la sécurité sociale et qui limite les débats à 20 jours dans chaque Chambre. Le gouvernement a ensuite utilisé un autre article pendant les débats au Sénat pour bloquer les votes spécifiques aux amendements et ne permettre qu’un seul vote global sur l’ensemble du projet de loi à la fin. Enfin, reconnaissant l’incapacité à obtenir la majorité simple nécessaire au vote de l’Assemblée Nationale, qui a le dernier mot, le Premier Ministre Élisabeth Borne a déclenché l’article 49-3 de la Constitution, permettant au gouvernement d’imposer l’adoption d’un texte par l’Assemblée immédiatement et sans vote.Si la décision de la Cour et la promulgation de la réforme rendent légaux le processus et le texte final, leur légitimité politique n’existe plus.Aujourd’hui encore, 70 % des Français en moyenne sont opposés à l’allongement des carrières. Depuis le début du processus législatif, la popularité de Macron n’a cessé de baisser.De leur côté, les syndicats sont restés unis et ont appelé le gouvernement à suspendre la réforme tout en engageant une réflexion plus large sur le rapport des Français au travail, alors que les taux de burn-out explosent et que les conditions de travail sont parmi les pires de l’Union européenne.La légalité est une condition nécessaire pour faire de la politique, mais pas suffisante. La réforme est peut-être judicieuse, selon certains, mais Macron ne peut pas mettre un pied hors du palais de l’Élysée sans être chahuté.La décision de Macron de passer en force quoi qu’il arrive, en ignorant les clameurs du peuple, n’est pas la démonstration d’un président fort mais plutôt d’une déconnexion de la réalitéLa personnalisation radicale du pouvoir par le biais d’un système présidentiel est en train de mourir, car aucun dirigeant politique ne jouit de la légitimité dont Charles De Gaulle a bénéficié, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et qu’il a utilisée pour construire de toutes pièces le système politique dont nous souffrons encore aujourd’hui.L’argument du gouvernement selon lequel les processus législatifs étaient légaux et que la loi est donc légitime est erroné : “la démocratie ne tire pas seulement sa légitimité de la Constitution”, a déclaré il y a quelques jours l’historien politique Pierre Rosanvallon, “mais aussi de ce qui en émane”, et de la manière dont la légalité législative s’inscrit dans les réalités politiques d’une nation. La légalité est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour faire de la politique. La réforme est peut-être bonne, mais Macron ne peut pas mettre un pied hors du palais de l’Élysée sans être chahuté.Ce dont la France a besoin pour sortir de l’autre côté de ce sombre tunnel politique, c’est d’un pouvoir accru pour le Parlement, de manière à garantir une meilleure représentation de tous les citoyens dans tous les espaces législatifs. Il est essentiel d’apprendre à naviguer dans le monde complexe de la formation de coalitions, le parti de M. Macron n’ayant obtenu qu’une majorité relative à la Chambre basse. Jeter les bases d’une révision à grande échelle de nos institutions politiques est une tâche intimidante, mais elle permettrait de rétablir la confiance dans le processus décisionnel démocratique. Le peuple est prêt, et Macron doit l’entendre ; sinon, notre démocratie mourra bientôt.

Share This Article
Follow:
Restez avec nous et nous vous fournirons les nouvelles les plus récentes avec précision et rapidité. Rejoignez-nous dans le monde de l'information et des actualités
Leave a comment

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *