La démocratie en crise : le consentement du peuple et ses limites

Francoise Riviere
8 Min Read

La crise politique actuelle révèle un échec de la démocratie et de la pratique du pouvoir qui lui est associée. L’ambiguïté intrinsèque du “pouvoir du peuple” et le système de démocratie représentative qui repose sur le consentement du citoyen à déléguer le pouvoir à ses représentants sont identifiés comme des causes de cet échec. Ce consentement implique que le citoyen doit renoncer à l’exercice personnel du pouvoir en échange de son droit à le retrouver. Cette autorisation repose sur la confiance fondamentale que le citoyen accorde à ses gouvernants. Toutefois, cette confiance doit être régulièrement remise en question et négociée pour éviter d’être trompé. Il n’y a pas d’accord préalable ou évident dans ce système, et la nécessité d’un dialogue continu est soulignée pour résoudre les problèmes de la démocratie.

Il y a un dysfonctionnement de la relation entre autorité et autorisation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Pour y remédier, certains discours politiques prônent un retour à une représentation plus fidèle du peuple. Ces discours peuvent être antagonistes politiquement mais partagent un certain ressort populiste, dans le sens où ils se réclament du peuple comme source exclusive de toute légitimité politique. La rhétorique populiste repose sur la conviction que l’existence du peuple est une évidence et que sa volonté est la seule à même de garantir une légitimité politique.

Nous vivons une crise politique qui révèle un dysfonctionnement de la promesse démocratique et de la façon dont le pouvoir est exercé pour la concrétiser. Le problème tient à l’incertitude qui entoure la notion de “ce pouvoir (kratos) du peuple”, qui devient encore plus difficile à définir depuis que la démocratie est représentative : les critères modernes du problème politique font que la démocratie repose sur un consentement par lequel le citoyen transfère l’exercice du pouvoir à ses représentants.

Cette autorisation n’a de sens que si le citoyen consent d’abord à se dessaisir de l’exercice individuel de ce pouvoir, de le céder en fait pour le récupérer en droit : c’est l’illusion qui est censée être créée par le contrat social. Cette autorisation qui soutient le pacte social nécessite donc une confiance primordiale, celle par laquelle le citoyen habilite ses gouvernants à exercer le pouvoir en son nom : l’autorité est toujours une autorisation.

Mais ici comme ailleurs, ce consentement se pose d’abord comme un problème qui doit être sans cesse questionné et négocié, faute de quoi il n’est qu’une tromperie. Nous sommes loin du mythe d’un accord initial et manifeste, donné une fois pour toutes. Au contraire, nous devons reconnaître que la démocratie est un processus dynamique et conflictuel, qui implique une participation active et critique des citoyens, ainsi qu’un contrôle permanent et efficace de leurs représentants.

La relation d’autorisation qui fonde l’autorité est aujourd’hui endommagée. La solution consisterait à revenir vers ce peuple qui se sentirait trahi ou négligé. Plusieurs discours parfois opposés sur le plan politique se disputent ainsi le privilège de représenter le peuple.

Pour cela, ils utilisent chacun à leur façon un certain ressort que l’on pourrait appeler populiste, si l’on désigne par là une rhétorique qui se réfère au peuple, un peuple dont l’existence serait une certitude et qui serait la seule origine de toute légitimité politique.

La légitimité institutionnelle n’est jamais suffisante de ce point de vue, même si elle est évidemment nécessaire. C’est justement parce que c’est un prérequis de la démocratie qu’un certain nombre d’électeurs ont choisi Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. En raison du sens accordé à la distinction fondamentale entre régime démocratique et régime autoritaire, ils ont jugé que la préservation de l’État de droit, le seul qui permette en son sein le désaccord politique, devait alors primer sur tout le reste. Comme l’a souligné récemment Pierre Rosanvallon la rivalité des légitimités politico-juridique et sociale est une limite infranchissable de la démocratie.

C’est cette incompressibilité qui forme le socle des contre-pouvoirs dont nous savons depuis John Locke et son Traité du gouvernement civil et De l’Esprit des lois de Montesquieu, qu’ils sont les protecteurs de l’État de droit, tout en étant les éléments constitutifs de la production effective de la souveraineté populaire.

C’est cette séparation que visent en premier lieu les régimes autoritaires. Le cas exemplaire israélien – actuellement des dizaines de milliers d’Israéliens se rassemblent chaque semaine pour contester un texte de réforme judiciaire à l’initiative du gouvernement de Benyamin Nétanyahou qui met en péril l’indépendance de la Justice – nous le montre.

Au lieu d’opposer un peuple à un autre, nous devrions réfléchir aux conditions et à la pratique du pouvoir démocratique, celle qui nous permet de « faire » peuple. Et nous devons repartir pour cela d’une interrogation sur le statut de la pluralité sociale sans laquelle la question du dialogue démocratique à la base du pacte social ne peut être réellement posée.

La condition démocratique repose sur l’existence d’une pluralité sociale incompressible qui contraint aussi bien les gouvernants que les gouvernés à une construction permanente du consensus, jamais acquis mais toujours élaboré, et toujours à réélaborer : ce qu’on nomme volontiers « démocratie sociale », seul cadre possible d’un consensus solide et durable, celui à partir duquel on peut parler véritablement de légitimité démocratique.

En démocratie, ce « lieu vide du pouvoir », personne ne peut se prévaloir du monopole de la représentation populaire, pas même la majorité elle-même, et c’est sur cette impossibilité préalable que peut se construire la pratique démocratique du pouvoir, celle qui l’empêche de devenir tyrannique. Dans ce cadre, il n’y a pas de pouvoir du peuple sans les médiations institutionnelles qui lui permettent d’exister, il n’y a d’ailleurs pas de peuple tout court.

L’ambiguïté du pouvoir du peuple et le système de démocratie représentative qui repose sur le consentement du citoyen à déléguer le pouvoir à ses représentants sont identifiés comme des causes de cet échec. Le texte souligne la nécessité d’un dialogue continu pour résoudre les problèmes de la démocratie. Certains discours politiques prônent un retour à une représentation plus fidèle du peuple, mais cela peut être considéré comme un ressort populiste. Le texte mentionne également la nécessité d’une confiance primordiale entre le citoyen et ses gouvernants, ainsi qu’une participation active et critique des citoyens pour éviter d’être trompé. Enfin, le texte souligne que la légitimité institutionnelle n’est jamais suffisante et que la rivalité des légitimités politico-juridique et sociale est une limite infranchissable de la démocratie.

Share This Article
Follow:
Restez avec nous et nous vous fournirons les nouvelles les plus récentes avec précision et rapidité. Rejoignez-nous dans le monde de l'information et des actualités
Leave a comment

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *