France : la politique d’immigration, entre chaos et durcissement

Francoise Riviere
9 Min Read

La question de l’accueil des migrants est revenue au-devant de la scène en Europe et en particulier en France depuis qu’un homme a poignardé six personnes à Annecy, dont quatre enfants, jeudi 8 juin 2023. L’attaque au couteau commise par un réfugié syrien intervient en plein débat autour d’une nouvelle législation de l’immigration en France.

Pour rappel, l’auteur présumé de l’attaque au couteau à Annecy bénéficiait de l’asile en Suède. Il avait finalement quitté le pays où il vivait avec son ex-femme et leur fille de 3 ans, pour rejoindre la France. L’individu d’origine syrienne était entré sur le territoire français le 26 octobre 2022 et était sans domicile fixe. Il avait réclamé l’asile le 28 novembre dernier, avant que cette demande ne lui soit refusée le 4 juin.

L’attaque a suscité de vives réactions des personnalités politiques françaises. En effet, il n’a fallu que quelques heures à la droite et aux nationalistes du Rassemblement national, pour réclamer un durcissement de la politique migratoire.

L’enquête est à peine ouverte, l’on s’interroge sur les motivations de l’assaillant. Mais la droite et l’extrême droite n’ont tenu que quelques minutes avant d’ouvrir une polémique politique.

Les personnalités politiques en sont ainsi rapidement venues aux invectives, certains accusant leurs adversaires de récupération quand d’autres dénonçaient le résultat de politiques migratoires.

À l’heure où la Première ministre Élisabeth Borne rappelait que c’était le « temps de l’émotion », la droite et l’extrême droite tentaient déjà de récupérer la tragédie pour étayer leurs thèses sur l’accueil des étrangers en France. Elles surfent en effet sur l’horrible fait divers d’Annecy pour propager leur discours raciste. Certains parlent alors d’ « islamisme radical » ou de « terrorisme », en contradiction avec les premiers éléments de l’enquête.

A noter que le contexte politique français est particulièrement sensible à cette question en ce moment. Il sera effectivement focalisé, après la réforme des retraites, sur une mise à jour de la législation de l’immigration en France.

De toute évidence, le débat sur la loi immigration ne sera plus le même après le drame d’Annecy, d’autant plus que l’exécutif est et sera forcé de prendre le relais des déclarations de la droite. Ainsi, l’attaque d’Annecy est l’occasion pour les droites de réitérer leur position sur le rejet des migrants, la fermeture des frontières, l’amalgame entre insécurité et immigration.

Le président Emmanuel Macron, la première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur issu de la droite, Gérald Darmanin, tergiversent depuis l’été dernier sur un «projet de loi immigration».

Mais ce projet met en exergue la difficulté voire l’impossibilité pour Emmanuel Macron de continuer de jouer la carte du « en même temps », pierre angulaire de son identité politique, comme lors du précédent quinquennat. D’autant plus que le durcissement des règles d’expulsion des étrangers en situation irrégulière prévu par ce projet de loi effraie la gauche mais est jugé insuffisant par la droite.

L’équilibre semble donc impossible à trouver et l’exécutif se dirige tout droit vers un échec, à moins qu’un nouveau 49.3 ne soit actionné. Pour éviter que cela se produise, Gérald Darmanin serait prêt à accéder à une grande partie des demandes des Républicains.

Un regard rétrospectif permettrait de constater que le controversé projet de loi «pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » a été gelé en raison de la grogne sociale.

Annoncé depuis des mois, le texte a été présenté en Conseil des ministres début février 2023 et a commencé en mars son parcours parlementaire au Sénat. Enterré par Emmanuel Macron lors de son interview télévisée du 22 mars, le sujet a refait surface lors de son allocution du 17 avril. Le locataire de l’Elysée a ainsi placé la question de l’immigration au menu des « 100 jours » pour relancer le quinquennat.

Or, quelques jours plus tard, Elisabeth Borne a estimé qu’il n’existait « pas de majorité pour voter un tel texte » et a repoussé sa présentation à l’automne. La Première ministre a finalement demandé le 9 mai au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de relancer des concertations pour présenter  en juillet un nouveau projet de loi en Conseil des ministres.

Le texte prévoit un large éventail de mesures pour faciliter les expulsions, surtout des étrangers dits « délinquants », une réforme du droit d’asile et un volet intégration, notamment la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les «métiers en tension » où les employeurs peinent à embaucher.

Censé séduire à la fois la droite républicaine, de plus en plus radicale sur le sujet, et la gauche, qui dénonce les conditions d’accueil des étrangers, le texte finit par irriter tout le monde. Ainsi le gouvernement va devoir déclencher un nouveau 49.3 pour permettre son adoption sans vote à l’Assemblée nationale.

Une trentaine d’associations, de collectifs et de syndicats, ont dénoncé jeudi dans un communiqué commun « la surenchère sécuritaire » de ces propositions et se sont inquiétés « de leur éventuelle reprise » dans la nouvelle mouture du projet de loi que le gouvernement souhaite présenter à l’été. Ces organisations ont notamment mis en garde contre l’alignement du gouvernement sur les positions des responsables LR et l’extrême droite.

Si l’immigration est un phénomène croissant et risque de l’être plus encore avec la crise climatique, le creusement des inégalités et la montée des conflits, tout le reste du discours de droite repose sur des idées fausses et des représentations erronées de la réalité qui sont renouvelées depuis des décennies dans le paysage socio-politique français. A en croire les statistiques, la France n’est pas le pays le plus attractif d’Europe : la progression de la population immigrée en France est de 36%, contre 58% pour l’ensemble des pays d’Europe de l’Ouest, selon l’ONU.

C’est dans ce contexte que les 27 ministres de l’Intérieur européens ont évoqué jeudi au Luxembourg, la future réforme du système d’asile et d’immigration de l’UE, lancée en 2016 et ont fini par s’entendre sur deux points importants.

Premièrement: l’accélération, à 12 semaines maximum, du traitement des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’UE dans le but de refouler plus rapidement, vers leur pays d’origine ou des pays tiers jugés «sûrs», les demandeurs qui ne répondent pas aux critères pour recevoir la protection de l’Europe. Deuxièmement, les ministres se sont entendus sur un mécanisme de solidarité pour soulager les pays européens qui sont confrontés à des arrivées importantes de migrants.

L’accord conclu par les Etats membres doit encore être négocié avec le Parlement européen, dans l’optique d’une adoption de la réforme avant les élections européennes de juin 2024.

En attendant, la pression migratoire se poursuit et l’extrême droite enchaîne des succès électoraux dans plusieurs pays européens. La hausse des arrivées de migrants depuis la fin de la pandémie du coronavirus et la présence d’environ quatre millions de réfugiés ukrainiens dans l’Union européenne ont remis le dossier sur le devant de la scène.

Dans son rapport annuel, le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe exige que les États européens mettent fin aux « traitements dégradants et inhumains » pratiqués par les forces de police contre les réfugiés, particulièrement aux frontières de l’Union européennes. Il fustige la tendance de certains Etats à vouloir adopter des lois légalisant les mesures de refoulement.

Etant donné cette nouvelle poussée anti-immigrés en Europe y compris en France où certaines personnalités politiques s’attaquent aux droits les plus fondamentaux  en instrumentalisant la tragédie d’Annecy et en manipulant les peurs, la classe politique dirigeante en France devrait se rendre à l’évidence : la chasse aux migrants est une dangereuse impasse.

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