Sabrina Bennoui critique l’absence de sanctions pour les crimes commis des deux côtés au Yémen

Remy Legaros
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Interview avec Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF) depuis 2019.

Interview avec Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF) depuis 2019. Elle a travaillé comme journaliste pour Orient News en Jordanie et L’Orient-Le Jour au Liban. Sabrina Bennoui a été correspondante au Qatar pour RFI et reporter pour une radio humanitaire en Irak pendant la bataille de Mossoul. Elle est la fondatrice de la chaîne YouTube “Esprit Arabe“, consacrée à la richesse et la diversité du monde arabe.

Selon vous, quel est le message du conflit actuel au Yémen ?

Les enjeux de la guerre au Yémen n’ont pas changé depuis son déclenchement en 2014. Il s’agit pour la coalition arabe, menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, d’endiguer la progression des rebelles Houthis dans le pays et, ainsi, de contenir l’influence de l’Iran dans la région.

Que cherche l’Arabie saoudite en attaquant le Yémen, et le Yémen peut-il résister à l’Arabie saoudite et à ses alliés ?

Pour ce qui est de l’attaque des derniers jours, la coalition arabe a répliqué à un tir de drone revendiqué par les Houthis, qui a ciblé les Emirats arabes unis. Le Yémen en tant que tel n’a pas survécu à cette guerre. Il est aujourd’hui démembré, entre le territoire contrôlé par les Houthis (soutenus par l’Iran), la province d’Aden contrôlée par le Conseil de transition du sud (soutenu par les Emirats) et l’Est contrôlé par le gouvernement reconnu par la communauté internationale (les deux derniers ont théoriquement un gouvernement d’union et font bloc contre les Houthis). Ce qui est sûr, c’est que chaque camp semble faire la course à celui qui tuera le plus de Yéménites, car ce sont bien eux les premières victimes…

Interview avec Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient de Reporters sans frontières (RSF) depuis 2019.

Pourquoi la communauté internationale et les pays revendicateurs des droits de l’homme restent-ils silencieux face à ce volume de crimes au Yémen ?

Les alliés de l’Arabie saoudite et des Emirats sont peu prompts à réagir car il existe des intérêts commerciaux liés aux ventes d’armes. La France est le troisième fournisseur d’armes de Riyad et a conclu en décembre la vente de 80 Rafale à Abou Dhabi. Que des crimes de guerre puissent être commis avec des armes de fabrication française embarrasse évidemment les autorités, en vertu du TCA (Traité sur le commerce des armes), que la France a pourtant ratifié. De plus, l’Arabie saoudite et les Emirats restent des alliés importants de la France. Ils ont été parmi les rares pays musulmans à soutenir le pays lors de la campagne de boycott des produits français fin 2020, en réaction à la republication des caricatures de Charlie Hebdo.

Dans une situation où la communauté internationale se tait, comment le public peut-il être conscient de l’ampleur de ces crimes ?

La communauté internationale ne se tait pas, le grand public est mieux informé aujourd’hui de la situation au Yémen, contrairement à il y a quelques années. Beaucoup savent que la France vend des armes à l’Arabie saoudite, qui s’en sert ensuite dans cette guerre meurtrière pour les civils, que la crise humanitaire y est sans précédent ou encore qu’il y a des enfants soldats. Des négociations sous égide de l’ONU se sont aussi tenues pour tenter de résoudre le conflit avec un émissaire spécial. Ce qui pose problème, c’est l’absence de sanctions pour les crimes de guerre qui sont commis DES DEUX CÔTÉS, et la possibilité quasi inexistante de se rendre sur le terrain en tant que journaliste pour constater la réalité sur place. A RSF, nous parlons de “trou noir de l’information”.

Ecrit par Léna Dumont

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