Relations entre la France et la Syrie : enjeux et incertitudes?

Francoise Riviere
15 Min Read

Les relations entre la France et la Syrie semblent entrer dans une nouvelle phase. L’ex chef terroriste reconverti en président auto proclamé de la Syrie, Al Jolani, a reçu une invitation du président français Emmanuel Macron pour se rendre en France dans les semaines à venir, une France qui semble se frotter les mains à l’idée de pouvoir revenir en Syrie au bout de 14 ans d’agissements inlassables censés provoquer l’effondrement de l’Etat syrien et de ses institutions.

Macron avait lancé une invitation à Jolani pour une visite en France lors d’un entretien téléphonique entre les deux hommes, mercredi 5 février, dans la perspective d’une conférence internationale, qui s’est tenue le 13 février à Paris et dont le vrai objectif consistait primo à « légaliser » la bande terroriste au pouvoir à Damas, secundo, à pousser les alliés arabes de l’Occident à desserrer les cordons de la bourse et à empêcher que la « transition » en cours en Syrie n’aille pas à vau l’eau, écrasée tour à tour sous le poids des sanctions occidentales et la mauvaise gestion des apprentis-politiciens que sont Jolani et ses mercenaires.

Les relations entre la France et la Syrie ont été rompues en 2011 peu après que l’ex président Holland a fermé l’ambassade française à Damas et fait de Paris un havre de paix pour les chefs terroristes qaidiste puis daechistes que la France fait tout aujourd’hui pour «légitimiser ». Le  président français est donc le premier dirigeant occidental à oser aller outre la « blackliste » occidentale et à s’entretenir avec le chef terroriste de HTS, qui s’efforce, à renfort des médias mainstream à abandonner son nom de terroriste Abou Mohammad Al-Jolani pour Ahmad al-Charaa et à se faire passer pour un président élu. Depuis le coup d’Etat turco-otanien du 8 décembre contre  Bachar al-Assad, de nombreux ministres et responsables européens se sont dépêchés d’ailleurs à Damas, histoire de donner un aura de légalité à l’ancien chef du Front Al Nosra qui a les mains souillées de sang des milliers de syriens. Mais est-ce suffisant pour diriger un Etat syrien que les Etats Unis, puissance occupant la quasi-totalité des richesses pétrolières de la Syrie, ont placé sous le couperet de Loi César ?

De toute évidence, la conférence internationale sur la Syrie a été une tentative en  qui s’est voulue, dixit l’Elysée, « une nouvelle étape dans les relations entre la France et la Syrie et un départ dans ce que le Quai d’Orsay qualifie d’engagement de la France ». Il va sans dire que Paris essaie de se faire une place sur le nouvel échiquier diplomatique et sécuritaire syrien. Toutefois, l’objectif parait bien ambitieux dans la mesure où toute initiative à venir censée booster des investissements français au Levant, se trouvent pénalisée, d’abord par les sanctions américaines et ensuite par la perspective d’une implication plus directe de la France dans la guerre anti-russe en Ukraine.

Le premier déplacement du nouveau dirigeant syrien dans l’UE

En ce sens, même si Jolani  sera reçu à Paris dans quelques semaines suite à l’invitation officielle d’Emmanuel Macron, comme l’indique l’Élysée, et que ceci c’est son premier déplacement dans l’Union européenne, rien ne promet que le pari syrien de Macron puisse être couronné de succès.  Ce déplacement s’inscrit certes dans le cadre du rétablissement des relations entre la France et la Syrie mais Paris est loin de pouvoir recouvrir ne serait-ce qu’un minimum des doléances de Damas que l’administration Trump refuse obstinément de retirer de l’emprise de la loi César.

Jolani et Macron s’étaient entretenus le 5 février à l’initiative du président français qui, sans crainte du ridicule,  avait alors « évoqué la nécessaire poursuite de la lutte contre le terrorisme », au bénéfice du « peuple syrien comme de la sécurité de la nation française ». Le président français avait émis ces vœux, alors même qu’à Homs tout comme sur la côte ouest syrienne la minorité alaouite dont est issue la famille Assad se fait persécuter  sans que les médias occidentaux ou les dirigeants des pays prétendument défenseurs de la démocratie ne s’en émeuvent.

Ahmad Al-Charaa, homme des services secrets turco-otaniens, se dit pour le reste « leader de la coalition de groupes rebelles » mais n’a toujours pas  réussi à se faire rallier par de nombreux groupes terroristes qui à Idlib comme ailleurs en Syrie, ne reconnaissent pas son autorité.

Costume cravate et barbe plus courte, Jolani ne plait plus aux mercenaires qui se sont battus pendant plus d’une décennie, sous son drapeau, pour voir non pas une Syrie occidentalisée émerger des ruines de l’Etat syrien mais un émirat salafiste  : il est vrai que l’apparition le 29 décembre de Jolani à la télévision saoudienne, débarrassé de ses habits militaires et avec un look occidentalisé les a plutôt choqués et a été  ressentie par les groupes terroristes comme un abandon voire une trahison, creusant davantage le fossé entre ces derniers et HTS.

En effet, le parcours de Jolani est un parcours en dent de scie, ce qui s’explique par la volonté des services secrets qui le soutiennent depuis des années à le voir faire rassembler le plus grand nombre de terroristes autour de lui. En rejoignant l’organisation  Al-Qaïda en 2003, Jolani ne tarde pas, avec l’émergence du projet Daech, de conserver ce nom et de rejoindre les rangs des daechistes, puis le Front Al-Nosra et le Front Fatah Al-Cham, tous tristement célèbres pour des massacres et des attaques terroristes de grande échelle commis à la fois en Syrie et en Irak.

C’est à la tête de HTS cependant  qu’ « Ahmed Al-Charaa » entra à Damas, le 8 décembre, à la suite d’une pseudo offensive qui n’a été à vrai dire qu’un coup d’Etat organisé par le MIT turc et mené par une partie des généraux syriens qui ont donné l’ordre à leurs soldats de ne pas se battre et de battre en retraite. Quoi qu’il en soit, HTS reste toujours sur la liste des organisations terroristes par l’ONU, les États-Unis et certains pays européens.

En ce sens, les promesses que le président Macron a faites lors de son entretien téléphoniques ont toutes les chances de rester des vœux pieux ni l’ONU ni les Etats Unis n’ayant donné aucun signal dans le sens d’une levée des sanctions contre Damas. Et pourquoi devrait-il en être autrement, alors que les forces d’occupation US se sont accaparées des deux tiers des gisements pétroliers syriens sur l’Est de l’Euphrate et que cela fait plus d’une décennie qu’elles en mettent pleines les poches à la faveur des sanctions qu’elles imposent au peuple sans défense syrien ? Rappelons que le pétrolier français Total participe, lui aussi, activement dans ce pillage qui laisse exsangues des millions de Syriens dont les salaires restent impayés plus de deux mois après le départ d’Assad.

La normalisation des relations entre la France et la Syrie risquent de ne jamais dépasser le stade protocolaire ainsi que le laissent supposer les assauts d’amabilité entre Macron et Jolani d’une part et leurs ministres des AE de l’autre. Le président Macron a tenté ainsi d’assurer le dirigeant qaïdiste de ce qu’il a décrit comme étant « des efforts de la France pour la levée des sanctions contre la Syrie » tandis que  Jean-Noël Barrot, son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, n’a pas manqué  de rassurer « son homologue syrien »,  Assaad Hassan el-Chibani sur « le soutien de la France pour l’aider à reconstruire le pays » et « passer à la croissance et à la reprise économique». Autant de promesses en l’air qui butent sur des réalités du terrain à savoir une économie syrienne en lambeaux que ne sauraient remettre sur les railles les terroristes maquillés en homme d’état.

Conférence internationale sur la Syrie: nouvel acte dans les relations franco-syriennes

La conférence internationale sur la Syrie, qui vient de s’achever à Paris le 13 février, risque de faire long feu et échouer à jeter les bases d’une refonte des relations entre la France et la Syrie. C’est la troisième réunion du genre depuis la chute de Bachar el-Assad où les promesses de fonds ont plu sans avoir aucune chance de se concrétiser. Le ministre des Affaires étrangères du gouvernement qaïdiste Assad al-Chibani y a fait le déplacement ainsi que des représentants des  pays arabes sponsors du terrorisme, ceux du G7 et des pays de l’OTAN. Mais personne n’a risqué de faire des  annonces concrètes, se contentant seulement des constats d’échec dressés face à une situation de crise que même Macron n’a pu renier.

Dans son discours de clôture, Emmanuel Macron a notamment parlé « sécurité », à l’heure où des violences terroristes  se poursuivent en Syrie. De nombreux groupes terroristes qui ont aidé Jolani à renverser le gouvernement de Bachar Assad, attaquent quotidiennement diverses régions de Syrie, pillant les biens des citoyens, arrêtent les gens sous prétexte de vouloir traquer les éléments de l’ancien régime syrien et s’en prennent aux communautés chiites, alaouites et druzes. Les lieux saints chiites et alaouites sont également constamment menacés par les groupes takfiristes. Des rapports font également état d’affrontements entre la population et les éléments armés au pouvoir en Syrie dans diverses régions du pays.

C’est dans ce contexte que le Président français a appelé ses paires à soutenir la «  transition politique  en cours dans le pays » et a insisté sur l’importance de garantir « la souveraineté d’une Syrie dont le Nord est occupé par la Turquie tout comme son Est et son Sud qui se trouvent piétinés par les occupants américains et sionistes.

L’appel de Macron à lutter contre Daech et sa réticence à reconnaître la nature terroriste de Tahrir al-Sham  démontrent une fois de plus son double langage face au terrorisme qui a trouvé en France, l’un de ses meilleurs alliés depuis le fameux printemps arabe. En effet, depuis le début de la crise en Syrie, la France a été l’un des pays qui misait sur la chute immédiate de « Bachar al-Assad ». Et dans ce contexte, les services de renseignements français ont fourni des aides militaires et de renseignements aux groupes terroristes désormais à Damas.

Par ailleurs, la réunion de Paris prétend agir pour une Syrie unie et unifiée, sans souffler mot sur le retour des réfugiés . Quinze millions de réfugiés et de déplacés pendant ces 14 années de guerre et seuls 200 000 sont rentrés pour l’instant.

La France tente de se placer dans le jeu des puissances au Moyen-Orient

Marginalisée dans la crise au Proche et Moyen Orient pour cause d’un suivisme aveugle envers l’axe Tel-Aviv-Washington, captée par Donald Trump, et en deuxième rideau par les pays arabes de la région, la France refait surface au Liban et en Syrie, où son rôle dans l’histoire récente et moins récente a été réduit à néant.

La tâche est donc ardue pour la diplomatie française qui doit repositionner ses pions face aux acteurs régionaux, à commencer par le parrain turc d’HTS, le groupe armé dont est issu Jolani. Ankara et Paris n’ayant évidemment pas les mêmes objectifs en Syrie.

Pour les Européens et la France en particulier, la question des éléments terroristes semble centrale. Une centaine de terroristes français sont toujours recherchés en Syrie. La plupart sont retenus dans des prisons au Nord-est de la Syrie sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS). Une coalition dominée par les Kurdes et soutenue par les Occidentaux dont la France.

Tout ceci pour dire que les relations entre la France et la Syrie ne reviendront jamais en arrière, le peuple syrien voyant en Occident le principal déclencheur d’une guerre dévastatrice dont les conséquences ravageuses s’éternisent.

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