Le gouvernement Macron a annoncé, dimanche 5 mai, qu’il avait chargé deux hauts fonctionnaires de rédiger un rapport sur « l’influence de l’Islam en France ». Dans l’Hexagone, depuis plusieurs années, rares sont les personnalités musulmanes à avoir échappé à des accusations de proximité avec les Frères musulmans, dont l’Organisation est criminalisée par la sphère politico-médiatique française.
Des politologues, des journalistes, des chercheurs, des écrivains, des avocats et même des footballeurs se sont vus attribuer une proximité avec la Confrérie, fondée en Egypte en 1928.
Cette accusation est utilisée pour disqualifier la majeure partie des figures musulmanes françaises et ainsi minorer la légitimité de leur discours et l’impact de leur parole publique en particulier sur la guerre israélienne à Gaza.
Le soutien « inconditionnel » apporté au régime colonial israélien par les autorités françaises se traduit en interne par des attaques répétées contre les droits et libertés, y compris la criminalisation de la solidarité avec les Palestiniens. Une répression politique, sous couvert de lutte contre les discours de haine et l’antisémitisme.
Un rapport sur l’influence de l’islam en France !
Du point de vue des autorités françaises, l’influence de l’Islam politique engendre des préoccupations rien que par son opposition anti sioniste. En réponse à ces inquiétudes, le gouvernement a décidé de confier une mission à deux hauts fonctionnaires sur « l’islamisme politique et la mouvance des Frères musulmans » chargée de rendre un rapport à l’automne, selon un communiqué du ministère de l’Intérieur du dimanche 5 mai.
Dans les colonnes du Journal du Dimanche publié le dimanche 5 mai, Gérald Darmanin a appelé à un «sursaut européen» face à la montée des Frères musulmans, «un projet politique» qui viserait, selon le ministre de l’Intérieur, «à rendre la société charia-compatible en redéfinissant les normes sociales, peu à peu».
«Ils attaquent tous les pans de la société et se constituent en réseau : le sport, l’Education, la médecine, la justice, les organisations syndicales et étudiantes. Ils donnent des consignes de vote, soutiennent des commerces communautaires, usent d’une rhétorique anti-française», a prétendu le ministre.
La demande du ministre de l’Intérieur découle directement du discours prononcé par le président français, Emmanuel Macron, en 2020, à propos du séparatisme, dont il accuse les Français d’origine musulmane et pratiquants. Cela avait conduit à l’élaboration de la loi sur les principes et valeurs de la République en 2021 soit une batterie de mesures parfaitement discriminatoires et opposées à l’esprit républicain.
D’un point de vue plus global, la notion d’appartenance à la confrérie des Frères musulmans fait l’objet de tous les fantasmes en France et en Europe, grâce notamment aux analyses souvent biaisées de certaines figures extrémistes adeptes de la laïcité.
C’est le cas de l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler qui depuis la sortie de son livre « Le frérisme et ses réseaux », s’est imposée comme une référence sur la question des Frères musulmans. Elle perçoit les Frères musulmans comme une idéologie cherchant à « instaurer le califat partout dans le monde. », une accusation inventée et boostée par les lobbies pro sionisme.
Pourquoi le gouvernement se focalise sur l’Islam ?
De l’avis de nombreux analystes, on assiste actuellement à une pseudo guerre des cultures à la française, montée de toutes pièces par ces mêmes milieux pro Israël qui cherchent par tous les moyens à polariser la société et à placer Islam face à la République.
Cette polarisation ne porte pas sur la morale religieuse, effacée depuis longtemps sous l’effet de laïcisme mais sur le statut de l’islam dans l’espace public. Le prétendu clivage n’est plus entre les idéologies de droite et de gauche concernant l’islam et les musulmans, mais entre les critiques qui criminalisent systématiquement l’islam et ses adeptes au nom des valeurs républicaines, et ceux qui défendent l’islam à titre de foi des millions de français contre le racisme et la discrimination.
Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été l’un des principaux soutiens des efforts de Emmanuel Macron pour fermer les mosquées et les associations islamiques soupçonnées et même pas accusées d’extrémisme.
Dans ce contexte, la droite et l’extrême-droite ont soutenu le projet de loi «confortant le respect des principes de la République » de Macron – appelée aussi «loi contre le séparatisme » -, prétendant qu’elle « n’est pas contre l’islam ou sur l’islam », ce qu’elle est effectivement, mais qu’elle se concentre plutôt sur la promotion de la laïcité.
Ces sujets divisent toujours la droite et la gauche selon une ligne traditionnelle. Par exemple, dans les années 1980, les partis de droite accusent le socialisme d’être responsable de la perte d’identité nationale, et soutiennent une définition restrictive de la citoyenneté qui allait à l’encontre du pluralisme et des politiques d’immigration promues par la gauche. Ces idées étaient au cœur de la politique du président Nicolas Sarkozy qui avait axé sa campagne sur la restauration de l’identité française, qui serait menacée par la mondialisation et l’immigration musulmane. Il a ainsi contribué à transformer l’insécurité sociale des réformes néolibérales en une insécurité culturelle due à l’immigration musulmane, rendant de la sorte un énorme service aux milieux pro Israël et à leur rhétorique divisionniste à l’encontre des chrétiens et musulmans.
La politique d’Emmanuel Macron va encore plus loin, en ignorant le clivage droite/gauche, puisqu’il a créé son propre mouvement qui ne s’inscrit pas dans le la dichotomie idéologique traditionnelle et qui s’est engagé dans une guerre identitaire et culturelle.
La surenchère islamophobe dans la sphère politique et médiatique française
Depuis la guerre d’Israël contre la bande de Gaza, le gouvernement français multiplie les témoignages de soutien inconditionnel à l’égard de l’entité criminelle d’Israël, dont les bombardements ont déjà fait plus de 113 000 morts et blessés. Pas en reste, la sphère médiatique française parfaitement « israélo-centrique » s’est très majoritairement ralliée à cette position, soutenant au dehors les bombardements et les éléments de langage de l’armée israélienne et condamnant au dedans tout refus de soutenir l’opération de répression coloniale menée par l’armée israélienne.
Ces derniers mois ont malheureusement vu une accélération de cette offensive médiatique et son extension aux français de confession musulmane, mais également sur un narratif violemment islamophobe développé et diffusé par l’extrême droite depuis plusieurs années.
En effet, nombre d’offensives médiatiques islamophobes et des avertissements sur l’influence de l’Islam en France se sont inscrites dans la présentation du conflit israélo-palestinien comme une lutte entre musulmans et juifs. Autrement dit, elle constitue la base de la propagande pro-israélienne que s’emploient certains médias français à séparer de la Palestine et à appliquer aux musulmans français.
Ce narratif fait de tout musulman, étranger ou d’origine étrangère, un complice ou au minima un suspect. Plus délirant encore, tout musulman qui ose exprimer un soutien à la Palestine se voit accuser d’être un terroriste, c’est ce dont a fait les frais Karim Benzema. Le footballeur, qui avait publié le 15 octobre sur twitter «toutes nos prières pour les habitants de Gaza victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants », s’est fait, suite à ces propos, accuser par Gérald Darmanin d’être « en lien avec les Frères Musulmans » et de « cacher quelque chose ».
Cette offensive islamophobe n’est pas déconnectée de la tentative de criminalisation de la cause palestinienne. De nombreux médias et éditorialistes en profitent justement pour cibler les manifestations et actions de soutien à la Palestine. On a ainsi vu se multiplier les accusations d’apologie du terrorisme et d’antisémitisme à l’égard de ceux qui osent s’opposer au massacre d’enfants par l’armée israélienne.
La criminalisation de la solidarité avec la Palestine gagne du terrain en France
Depuis près de trois semaines, une vague sans précédent de soutiens à la Palestine se manifeste sur les campus universitaires aux Etats-Unis et en Europe. La répression contre cette mobilisation des étudiants est à la hauteur du soutien occidental à Israël : violences policières, interpellation de plus de 2 000 étudiants, avec plusieurs étudiants hospitalisés et des accusations d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme.
Pourquoi alors ce profond malaise à propos de la Palestine en France? Pourquoi dans la soi-disant « patrie des droits de l’homme », ceux qui contestent la politique d’extermination de masse israélienne dans les territoires palestiniens occupés se retrouvent-ils sur la sellette ? Pourquoi la France officielle tend à faire sien l’amalgame hautement contestable entre les notions d’antisémitisme et d’antisionisme ? Et pourquoi le gouvernement français s’obstine à accuser les partisans de la cause palestinienne de proximité voire de complicité avec les organisations islamistes dans le cadre d’une offensive d’envergure contre l’influence de l’Islam en France ?
Pour trouver des éléments de réponse à ces questions, remontons à la circulaire Alliot-Marie du 12 février 2010. Du nom de la garde des sceaux de l’époque, le texte demande aux parquets d’engager des poursuites contre les personnes appelant ou participant à des actions d’appel au boycott « de produits israéliens » et cela en vertu de la législation pénale concernant « l’incitation à la haine et la discrimination ».
A vrai dire, une large partie du champ politique français développe, mue qu’elle est par les intérêts d’Israël, un discours ouvertement raciste et islamophobe sous couvert des concepts tels que la lutte contre le séparatisme ou l’influence de l’Islam politique en France. Certes, l’antisémitisme est une posture illégale, mais lorsque les Etats occidentaux en l’occurrence la France l’amalgament avec l’antisionisme et toute critique d’Israël, ils contribuent à assurer l’impunité d’un régime voyou au détriment de toutes les lois humaines et du droit international.