Repenser les relations franco-allemandes : Défis et perspectives dans l’Union européenne

Francoise Riviere
8 Min Read

Les relations entre la France et l’Allemagne sont d’une telle importance pour les deux pays que chaque partie a ses propres analogies pour les décrire. Quelle que soit cette description que l’on préfère, l’état actuel de la relation est désastreux. L’ardeur s’est refroidie, les cylindres sont en panne. Les précédents épisodes de discorde franco-allemande ont mis l’UE à rude épreuve, mais ont abouti à des résolutions qui ont forgé l’intégration européenne. La querelle d’aujourd’hui n’a rien de spectaculaire, mais elle est inquiétante : personne ne voit comment elle pourrait aboutir à un compromis productif.

Cette semaine aurait dû marquer le renouvellement annuel des vœux/la mise au point régulière du moteur franco-allemand. Un conseil des ministres conjoint, réunissant les ministres des deux pays, devait avoir lieu le 26 octobre. Malencontreusement, pour une démonstration symbolique d’unité, le discours a été reporté au pied levé. Officiellement, un conflit d’agenda est à l’origine de cette décision ; un déjeuner entre le chancelier allemand Olaf Scholz et Emmanuel Macron, le président français, a été organisé à la hâte. En réalité, l’Allemagne et la France sont dans des camps opposés sur une liste de sujets inhabituellement longue. Aucune des deux parties n’a estimé que ses ministres avaient beaucoup de choses à se dire. Les assurances répétées des deux capitales que tout va bien ne font que renforcer le sentiment que ce n’est pas le cas.

Une grande partie des dernières tensions est liée à l’Ukraine. En ce qui concerne la guerre proprement dite, la France et l’Allemagne sont largement d’accord pour dire que l’Ukraine doit être soutenue, mais pas au prix d’une aliénation totale de la Russie, une approche qui leur a valu les foudres des faucons d’Europe centrale et orientale. C’est la gestion des répercussions de la guerre qui a creusé des fossés parfois préexistants. La France espérait que l’Union européenne emprunterait davantage pour financer le coût d’une énergie plus onéreuse, ou que les prix du gaz seraient plafonnés ; l’Allemagne a préféré proposer un ensemble de subventions nationales d’un montant de 200 milliards d’euros (200 milliards de dollars). L’Allemagne veut revenir aux règles budgétaires de l’UE d’avant la crise ; la France veut continuer à dépenser. La France souhaite que l’UE passe des marchés publics communs pour les équipements militaires ; l’Allemagne pense qu’il s’agit d’un cadeau aux entreprises françaises et préfère le matériel américain. La liste est longue.

Les tensions dans les relations entre la France et l’Allemagne ne se limitent pas à Paris et Berlin. Même s’il est mal vu dans 25 des 27 pays de l’UE, le couple moteur est au cœur de l’entreprise. Tous les jalons de l’intégration européenne, de l’euro à la libre circulation, en passant par l’élargissement ou le marché unique, ont été le fruit de compromis franco-allemands. L’accord entre les deux n’est généralement pas une condition suffisante pour que la politique européenne se fasse : il est toujours nécessaire. Cela s’explique en partie par leur taille. Les deux pays réunis représentent un tiers de la population de l’UE et deux cinquièmes de son PIB. Mais les différences élémentaires entre les deux pays amplifient l’impact de tout accord qu’ils concluent. On peut supposer qu’une politique acceptable pour les Français, qui ont le cœur bien accroché, plaira à une grande partie de l’Europe du Sud. Ce que l’Allemagne, qui a la tête dure, trouve acceptable est également accepté par les Pays-Bas, l’Autriche et l’Europe de l’Est, du moins avant la guerre.

Au fil des ans, une division du travail digne d’un vieux couple marié ou d’une machine bien réglée s’est mise en place : La France propose de nombreuses idées nouvelles, l’Allemagne en adopte quelques-unes. Macron voulait un grand budget pour la zone euro, par exemple, et la chancelière de l’époque, Angela Merkel, a bloqué pendant des années pour finalement accepter un grand fonds de relance contre la pandémie. Le désaccord a été une caractéristique de la relation, pas un problème. Aujourd’hui, la France est toujours en quête de nouveaux projets. Mais à ses yeux, l’Allemagne n’est pas tant insensible que diplomatiquement comateuse. Par le passé, la recherche d’un compromis pouvait être spectaculaire. Il y a dix ans, Merkel a versé de véritables larmes de frustration lorsqu’on lui a proposé un plan de sauvetage de l’euro imprégné de la France, dont elle a ensuite accepté une version. Scholz, en revanche, semble complètement indifférent aux récriminations de Paris. On ne sait même pas s’il a des canaux lacrymaux.

Le fait que Scholz et Macron n’aient que peu de relations personnelles n’aide pas. Les deux hommes sont différents et ont besoin de choses différentes l’un de l’autre. Le président français est un jeune homme qui prend des risques et dont la meilleure voie vers un héritage de réformateur (après avoir perdu le contrôle du parlement dans son pays) passe par l’Europe. Scholz est un ancien politicien régional proche de la retraite, dont on se souviendra probablement (ou pas) pour sa Zeitenwende, une refonte de la défense et de la politique étrangère allemandes qui a suivi l’invasion de l’Ukraine. Macron a besoin de l’Allemagne pour atteindre ses objectifs ; Scholz s’efforce de satisfaire ses deux partenaires de coalition nationaux.

La guerre a fait renaître l’idée d’une UE qui s’étend jusqu’à Kiev et au-delà, comme l’a fait remarquer Scholz. Géographiquement parlant au moins, un pivot vers l’est ferait passer l’Allemagne pour un pays central et la France pour un pays périphérique, surtout après le Brexit. Politiquement, dans certains cas, une Allemagne plus affirmée pourrait trouver des moyens de remplacer son allié français séculaire si les circonstances s’y prêtent un jour, bien que la France n’ait aucun moyen attrayant de contourner l’Allemagne.

De toute façon, cela semble être une perspective lointaine à l’heure actuelle : L’Allemagne est isolée en Europe et la France ne l’est pas. Le programme d’autonomie stratégique de Macron a mieux vieilli que la dépendance allemande vis-à-vis du gaz russe et des exportations vers la Chine. Mais les choses pourraient changer. Un avenir où la France ne serait qu’un partenaire potentiel parmi d’autres pour son grand voisin est une possibilité déconcertante à Paris. Une prise de bec avec l’Allemagne, suivie d’un épisode de maquillage rempli de nouvelles politiques européennes, serait une façon pour la France de montrer qu’elle compte toujours. Mais on ne peut pas lutter contre quelqu’un qui semble s’en moquer.

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