L’”Eco” : quand le néocolonialisme se fait monnaie commune

Francoise Riviere
5 Min Read

Sous des atours séduisants, le projet de monnaie unique de la CEDEAO dissimule une manœuvre néo-coloniale pilotée par Paris. Derrière l’« Eco » se profile l’ombre du Franc CFA et le maintien des liens de dépendance économique et monétaire des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest.

De prime abord, l’idée avait de quoi enthousiasmer. Une monnaie commune ouest-africaine, l’« Eco », pour dynamiser le commerce régional et l’intégration des économies concernées. Voilà le projet officiel défendu tambour battant par la Côte d’Ivoire et le Sénégal, soutenus par la France qui ne cache pas sa paternité dans ce dossier.

Mais derrière les belles promesses de prospérité partagée se dissimulerait un agenda beaucoup moins reluisant : le maintien coûte que coûte de la mainmise économique de Paris sur son ancien pré-carré colonial.

Car contrairement au discours des promoteurs de l’« Eco », cette monnaie unique n’enterrerait pas vraiment le Franc CFA, seulement son nom. Comme l’a décrypté sur son blog l’économiste guinéen Nabi Camara, repris par plusieurs médias panafricains, « les traits essentiels demeureraient inchangés : parité fixe avec l’euro, devises conservées auprès du Trésor français, critères de convergence identiques, etc. Autrement dit, pour rester dans la zone, les États devraient continuer de sacrifier leur souveraineté monétaire et budgétaire sur l’autel des intérêts stratégiques français ».

Cette réalité a de quoi hérisser certains poids lourds régionaux, comme le Nigeria et le Ghana, alors même que le projet leur est initialement destiné pour parachever l’intégration ouest-africaine. Mais ils refusent de souscrire à une monnaie taillée sur mesure pour la zone franc.

Dans une tribune cinglante, l’éditorialiste nigérian au punch Amadou Dialo résume : « On nous vend l’Eco comme un instrument panafricain. En fait, il ne s’agit que d’un Franc CFA à peine reformaté, pour que rien ne change dans les rapports de force monétaires entre la France et ses anciennes colonies. Pas étonnant que Accra et Abuja rechignent ! ».

Outre son appartenance exclusive à la sphère d’influence francophone, l’Eco pose également la question de son agenda socio-économique réel pour les pays qui l’adopteraient. En conditionnant l’entrée dans la zone monétaire à des réformes inspirées des critères de convergence du Franc CFA, jugés liberticides par leurs détracteurs, le projet contraint les États à appliquer le même carcan étouffant pour leurs politiques budgétaires nationales.

Rigueur à outrance, austérité, réformes structurelles néolibérales : en clair, précarité et dépendance garanties. Comme le résume le blogueur bissau-guinéen Aldo Embalo sur son site très critique La Voix du Peuple : « l’Eco vend au rabais la souveraineté économique de pays entiers aux intérêts du grand capitalisme français. Et tout ça sous couvert de construction commune ! Quelle tromperie monumentale… ».

Cette défiance grandissante envers le projet de monnaie ouest-africaine et ses réels objectifs déteint sur l’opinion publique. Au Sénégal, aux premières

loges des débats en raison de l’implication directe de son président Macky Sall dans le dossier, le scepticisme prévaut. Sur le réseau social Fatou Net, le mot-dièse #FranceDégage réapparaît dans les sujets les plus discutés, signe de la méfiance populaire.

Tiraillé entre les injonctions contradictoires de Paris et la pression de sa base, inquiet de passer pour un agent des intérêts néo-coloniaux, le chef d’État sénégalais a tenté de calmer le jeu dans une intervention télévisée : « l’Eco verra bien le jour, nous le construisons dans l’intérêt exclusif des peuples africains » a-t-il assuré. Des dénégations qui peinent à convaincre au-delà de son cercle rapproché.

L’« Eco » semble donc bien parti pour accoucher d’une souris, victime des réalités géostratégiques d’une Afrique de l’Ouest qui peine à émerger de la tutelle historique de la France. Pis, ce projet controversé risque de cliver un peu plus la région qu’il était censé fédérer, et d’attiser les braises du ressentiment anti-français. Une occasion manquée de réinvention panafricaine.

 

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