La guerre en Ukraine a révélé au grand jour le manque de préparation des pays européens de l’Otan, qui, en cas de conflit, ne disposeraient pas forcément d’un nombre suffisant de soldats mobilisables immédiatement. Voilà qui relance le débat sur le retour du service militaire obligatoire dans les pays du Vieux Continent.
Deux ans après son déclenchement, la guerre fait toujours rage sur le terrain, car la Russie dispose de grandes réserves d’hommes et de femmes mobilisables. Les pays européens peuvent-ils en dire autant ? La question mérite pour le moins d’être posée, car la comparaison entre les soldats que peuvent mobiliser la Russie d’une part et les forces dont disposent les pays européens de l’Otan de l’autre est très révélatimpact.w Quels impacts la réactivation du service militaire obligatoire pourrait-elle avoir en l’Europe ? Sera-t-elle contre-productive ou aidera-t-elle à défendre la région ?
L’Europe occidentale songe à remettre en place le service militaire obligatoire
En Europe occidentale, plusieurs pays réfléchissent à l’idée de grossir les rangs de leurs armées, alors que la guerre en Ukraine se poursuit.
Alors que le conflit en Ukraine s’enlise et que le Proche-Orient continue à s’embraser, le ton devient martial dans plusieurs pays. En France, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé, mardi 23 janvier, le lancement des « travaux » en vue d’une généralisation du Service national universel (SNU) « à la rentrée 2026 », lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale.
Même son de cloche en Allemagne. Le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, estime qu’au vu de la situation sécuritaire et des besoins de l’armée, l’Allemagne doit songer à introduire un service militaire obligatoire.
Idem au Royaume-Uni. Le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Sir Patrick Sanders, a appelé à un retour du service militaire obligatoire face à la menace russe, suscitant l’opposition de la population. Autrement dit, il souhaite un renforcement des moyens de défense en passant par la conscription, suspendue en 1960. A plusieurs reprises, le général Sir Patrick Sanders a martelé que « l’Ukraine compte vraiment », d’où la nécessité pour nos sociétés d’être « sur le pied de guerre ».
Guerre en Ukraine et ambiguïté stratégique de Macron
Le débat sur la réintroduction du service militaire obligatoire en Europe occidentale est relancé alors que les propos du président Macron avaient créé la polémique dans la classe politique française, mais aussi chez les alliés de la France et de l’Ukraine.
Le président français Emmanuel Macron est revenu ce lundi 4 mars sur ses propos qui avaient provoqué la controverse et relatifs à un possible envoi, dans l’avenir plus ou moins proche, de militaires occidentaux en Ukraine.
« En réponse à une question qui m’était posée sur l’envoi des troupes, j’ai répondu que rien n’était exclu », a rappelé Emmanuel Macron dans un entretien au quotidien tchèque Pravo, dont un extrait a été mis en ligne lundi soir, à la veille de sa visite à Prague.
C’est la première fois que le chef de l’État français revient sur ses propos tenus le 26 février à Paris, à l’issue d’une conférence internationale sur le soutien à l’Ukraine. Il avait alors déclaré, au nom d’une doctrine d’« ambiguïté stratégique», qu’un envoi de troupes occidentales en Ukraine ne pouvait « être exclu » à l’avenir, tout en reconnaissant qu’il n’existait à ce stade pas de « consensus » parmi les alliés de Kiev.
Le gouvernement français a ensuite précisé qu’il ne s’agissait pas de troupes combattantes. Mais la quasi-totalité des autres alliés occidentaux se sont immédiatement démarqués de sa position, assurant qu’il n’était pas question d’envoyer des soldats sur le sol ukrainien.
Au sein de la classe politique française, l’éventualité d’envoyer des troupes en Ukraine a aussi soulevé un tollé chez les oppositions, de la gauche radicale à l’extrême droite en passant par les socialistes et la droite.
L’armée de terre voudrait proposer un service militaire de six mois
Alors que sa généralisation fait l’objet de vives résistances, Emmanuel Macron a annoncé son intégration au temps scolaire, à partir de mars 2024. Le gouvernement souhaite former environ 800.000 jeunes par an. Mais, il devra faire face aux contestations de nombreuses associations qui l’accusent de vouloir militariser la jeunesse.
L’armée de terre réfléchit à un nouveau service militaire d’une durée de six mois, mais uniquement sur une base volontaire. Son chef d’état-major, le général Pierre Schill, qui l’a récemment évoqué devant les députés de la commission de la défense, a confirmé « travailler à augmenter notre offre d’engagement ». Ce nouveau service s’inscrirait dans la continuité du Service national universel (SNU), que celui-ci soit ou non généralisé à l’ensemble d’une classe d’âge. Pour l’instant, l’exécutif a renoncé à rendre le SNU obligatoire.
L’armée de terre estime que 10 000 jeunes pourraient être concernés chaque année. Ils formeraient des « bataillons de volontaires du territoire national » (BVTN), implantés à proximité de grandes villes, comme Nantes, Rouen ou Dijon. C’est-à-dire dans des « déserts militaires », où l’armée de terre n’est plus présente depuis la fermeture de nombreuses garnisons.
Ce projet s’inscrit dans un cadre plus global d’un « changement de paradigme » en matière de réserves et des préparations militaires – un dossier sur lequel le ministre des Armées Sébastien Lecornu s’investit beaucoup. Au terme de leur service de six mois, ces jeunes volontaires pourraient rester militaires à temps partiel, c’est-à-dire réservistes, au sein d’unités constituées et non en renfort individuel dans les forces professionnelles. Il n’existe actuellement qu’un seul régiment de réservistes, le 24e RI, bataillon d’Ile-de-France. A l’horizon 2035, l’objectif est d’« atteindre le ratio d’un réserviste opérationnel pour deux militaires d’active ».
Service militaire obligatoire : préoccupations économiques et militaires
En raison de la complexité de la guerre moderne, les experts se demandent si les conscrits peuvent être correctement formés à l’utilisation des équipements et des tactiques de pointe employés aujourd’hui dans le court laps de temps dont ils disposent.
Outre les préoccupations économiques liées à l’inefficacité du service militaire obligatoire, qui empêche un grand nombre de personnes d’exercer une autre activité, ils soulèvent des questions d’ordre éthique concernant l’envoi de civils au combat avec peu d’expérience.
L’une des options proposées est d’enrôler volontairement les recrues pour des sessions d’entraînement d’un mois chaque été pendant trois ans. En théorie, ils seraient alors prêts à partir au combat.
Outre la Lituanie, le Danemark, la Suède, la Norvège, la Finlande, la Lettonie, l’Autriche, la Grèce et l’Estonie disposent actuellement d’une forme de service militaire obligatoire, comme l’Ukraine et de la Russie, parties belligérantes.
En 2015, la Norvège est devenue le premier pays européen à instaurer un service militaire obligatoire pour les hommes et les femmes. Elle conserve une armée professionnelle, qui constitue le fondement de sa défense.
En 2019, la France a lancé une forme de service militaire, les jeunes se voyant proposer un service civique volontaire. Emmanuel Macron a présenté son projet comme un moyen de développer le patriotisme et la cohésion sociale.
Mais des études montrent que les appelés sont plus susceptibles d’être confrontés au chômage à la fin de leur service, et certains se demandent si les compétences acquises sont transférables à d’autres secteurs.
Le service militaire favorise-t-il le patriotisme ?
L’une des raisons pour lesquelles certains pays européens ont recours au service militaire obligatoire est que les campagnes de recrutement traditionnelles ne fonctionnent pas.
L’armée allemande, par exemple, ne parvient pas à attirer de nouveaux soldats, malgré une vaste initiative visant à se renforcer dans le contexte de la guerre en Ukraine, selon le ministère de la Défense du pays.
Des experts estiment que le secteur militaire ne peut pas rivaliser avec les salaires et les conditions du secteur privé, les emplois dans l’armée étant souvent difficiles et dangereux.
Selon les observateurs, cet argument ne peut expliquer ce qui se passe dans les régions d’Europe où le taux de chômage est élevé, comme le sud de l’Italie ou l’Espagne. Car même dans ces régions, les civils ne veulent pas s’engager.
Une autre explication est d’ordre culturel, les civils rejetant l’armée parce qu’ils ne partagent pas ses « objectifs et ses buts primordiaux », toujours selon ces observateurs.
Les guerres dévastatrices en Afghanistan et en Irak ont laissé des opinions négatives durables à l’égard de l’armée et l’on doute que le fait d’injecter plus l’argent puisse améliorer le recrutement.