L’affaire des « Uber files » ; Un scandale sérieux pour le gouvernement de Macron

Francoise Riviere
8 Min Read

La recherche d’un consensus ces jours-ci entre la gauche et la droite françaises relève du miracle, mais c’est pourtant le cas : les révélations sur les relations étroites du président Emmanuel Macron avec Uber, selon lesquelles, lorsqu’il était ministre de l’Économie, il serait personnellement intervenu pour faciliter l’entrée en France de la plateforme américaine de transport privé, ont mis d’accord toute l’opposition pour demander une enquête parlementaire sur ce qu’elle qualifie unanimement de scandale d’État. Le gouvernement, qui ne s’est pas encore débarrassé du poids d’avoir bénéficié pendant le premier mandat de Macron de contrats de l’administration publique française à des cabinets de conseil privés comme l’américain McKinsey, a resserré les rangs autour de la tête de l’Élysée. Macron lui-même a rompu son silence mardi pour assurer qu’il « assume pleinement » ses démarches auprès d’Uber en tant que ministre de l’Économie dans le gouvernement du socialiste François Hollande entre 2014 et 2016 et qu’il s’en « félicite » même.
« J’étais un ministre de l’économie qui s’est battu pour l’innovation et pour attirer les entreprises. Et je continuerai à le faire. Il est incroyablement difficile de créer des emplois sans entreprises et sans entrepreneurs et nous avons créé des milliers d’emplois », a déclaré Macron aux journalistes. Les « Uber Files » sont des documents internes qui ont fait l’objet de fuites concernant la plateforme Uber et son approche agressive pour s’établir dans le monde entier. Les documents, obtenus par The Guardian et partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et son réseau de partenaires médiatiques, ont révélé que Macron était en contact étroit avec les hauts dirigeants d’Uber, échangeant même des SMS avec le fondateur de la plateforme, Travis Kalanick. L’actuel président a même agi de sa propre initiative. « Je vais m’en occuper personnellement », a-t-il écrit au chef du lobby européen d’Uber et désormais gorge profonde des Files Uber, Mark MacGann, pour revenir sur la suspension d’Uber à Marseille après les fortes protestations d’octobre 2015.
Macron, qui, comme ses ministres l’ont rappelé peu après à l’Assemblée nationale, a également rencontré à l’époque des dirigeants d’autres grandes entreprises comme Netflix et Airbnb, a souligné que depuis sa présidence, il a exigé une plus grande régulation des plateformes numériques en Europe. « Nous avons réglementé le secteur sans aucune complaisance. Nous avons été le premier pays à réglementer les plateformes, puis nous avons fait pression au niveau européen. Je suis donc extrêmement fier », a-t-il insisté. Ses déclarations n’ont pas calmé l’humeur d’une Assemblée nationale qui voit dans les fuites du dossier Uber une nouvelle façon d’attaquer un gouvernement qui ne dispose plus de la majorité absolue à l’Assemblée nationale.
De l’alliance de gauche Nupes à l’extrême droite de Marine Le Pen, l’opposition parlementaire a réitéré sa demande d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale. « Un ministre de la République aurait servi les intérêts d’une société américaine. Nous exigeons une commission d’enquête parlementaire », a demandé la députée de la France Insoumise Danielle Simonnet au nom de l’alliance de gauche, qui réclame cette enquête depuis que les Uber Files ont été connus. Le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui avec 89 sièges est l’une des principales forces d’opposition, a également demandé une enquête afin que les députés puissent exercer leur rôle de « contrôleurs de l’action gouvernementale ». De son côté, l’ancien candidat à la présidentielle et désormais député communiste Fabien Roussel estime que l’affaire Uber « pose la question de la manière dont un président en exercice peut être mis en cause » et a appelé à une « modification » de la Constitution pour permettre cette démarche.
Aucune de ces demandes ne semble pouvoir être satisfaite, du moins pas immédiatement. Une commission d’enquête parlementaire ne pourrait être mise en place rapidement, cet été, que si la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, la soutient, ce qui est peu probable étant donné qu’elle est issue des rangs macronistes, qui ne disposent pas de la majorité absolue mais de la majorité relative. L’opposition peut encore exercer son « droit de rotation », c’est-à-dire la possibilité pour chaque groupe parlementaire de rédiger une proposition de résolution visant à ouvrir une commission d’enquête une fois par session parlementaire. Mais pour cela, il faudra attendre l’automne.
Le député d’extrême gauche François Ruffin a demandé une enquête sur les donateurs de la campagne présidentielle de 2017 de Macron, ce qui implique une sorte de quiproquo en cours. Macron, quant à lui, a fait l’éloge d’Uber pour avoir donné du travail à des milliers de jeunes issus des banlieues populaires en difficulté. Cette explication n’est pas suffisante pour satisfaire les chauffeurs de taxi agréés en France qui, contrairement aux chauffeurs Uber, doivent suivre environ 300 heures de formation et payer jusqu’à 250 000 euros pour obtenir une licence officielle de taxi. Jusqu’à présent, leurs protestations contre ce qu’ils appellent l’ubérisation de la France n’ont pas fonctionné. Mais les forces d’opposition au Parlement disent que, cette fois, elles vont s’assurer que le président écoute.
Lors de la première séance de questions du nouveau parlement français mardi, Danielle Simonnet, du parti de la gauche radicale, La France Insoumise, a exigé une enquête parlementaire et critiqué Macron, comme « un ministre qui a servi les intérêts d’une plateforme américaine contre l’avis du gouvernement et de l’administration française ». La ministre Olivia Grégoire, a répondu au parlement que Macron, en tant que ministre de l’économie, avait « fait son travail ». Elle a ajouté : « Il a rencontré Uber, il a aussi rencontré, soyons précis : Netflix, Airbnb, Tesla, et plus près de nous, les entreprises françaises Doctolib, Backmarket. Pourquoi ? Parce que ces entreprises sont au cœur de l’économie d’aujourd’hui, au cœur de l’économie du XXIe siècle, et c’est une réalité, quelle que soit votre opinion sur la question, que c’est là que se trouvent la croissance et les emplois ».
Grégoire a ajouté : « Qui a poussé à la régulation des géants du numérique en Europe ? La France. Qui a poussé à la nécessité de ne pas abuser des données personnelles ? La France. Qui a été le premier pays à proposer de taxer les géants du net ? La France. Qui est le pays qui en a payé le prix lorsqu’il a été sanctionné par le président Trump ? La France. Donc oui, le président, quand il était ministre de l’économie, a pris toutes les mesures pour favoriser l’arrivée mais aussi la protection des consommateurs ».

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