En France, la liberté de presse est mise à mal par les pressions politiques, les failles juridiques, les harcèlements, les intimidations, les agressions physiques et les violences policières contre les journalistes. La France se distingue ainsi d’une vraie démocratie par la médiocrité de son système médiatique et l’installation des idées extrêmes au sein de médias de masse.
Depuis quinze ans, le paysage médiatique français s’est radicalement transformé. Si la demande d’information n’a jamais été aussi forte, grâce à la révolution numérique, l’offre globale d’information, elle, n’a jamais été aussi faible, suscitant l’inquiétude grandissante de la profession représentée par ses sociétés de journalistes, syndicats, associations et collectifs.
Selon le classement mondial 2024 établi par Reporters sans frontières (RSF), la situation de la liberté de presse en France serait « plutôt bonne ». Ce classement ne reflète toutefois pas la réalité médiatique, telle qu’elle se dessine en France.
D’ailleurs, si la France a gagné trois places par rapport à 2023, ce progrès s’explique surtout par une détérioration plus importante de la situation dans les autres pays. A cela s’ajoute la méfiance croissante des Français envers les médias de masse qu’ils dénoncent pour leur œuvre de manipulation massive.
La liberté de presse compromise par l’opacité d’une loi controversée
Illustration de ce tableau en demi-teinte avec l’arrestation d’Ariane Lavrilleux le 19 septembre 2023. La journaliste indépendante – qui travaille entre autres avec RFI – a été placée en garde à vue pendant 39 heures et perquisitionnée après une plainte du ministère des Armées. En cause, son enquête pour le média d’investigation Disclose dans laquelle elle faisait des révélations sur la vente d’armements au régime génocidaire d’Israël.
Le cas Lavrilleux-Disclose a opposé deux concepts majeurs : d’un côté, le droit à l’information, et de l’autre, ce que l’on peut qualifier de raison d’État. La liberté de presse face à ce qui est prétendument qualifié d’intérêt supérieur de la France. Pour justifier l’arrestation de la journaliste et l’interrogatoire destiné à ce qu’elle dévoile ses sources, les autorités ont mis en avant la sécurité des intérêts français et le secret-défense.
En France, la liberté de presse est garantie par la loi du 29 juillet 1881. L’article 2 consacre le secret des sources. Pourtant, Ariane Lavrilleux, et d’autres journalistes avant elle, ont été inquiétés par les autorités à ce sujet ces dernières années. Une insécurité liée à un paradoxe législatif, avec l’introduction d’une révision datant du 4 janvier 2010 : la « loi Dati », dont une disposition sème le trouble.
L’imbroglio repose sur le principe même de l’ « impératif prépondérant d’intérêt public ». Celui-ci n’est aucunement défini. Il n’a ni cadre, ni caractérisation précise, laissant ainsi toute latitude aux autorités françaises ; ces dernières peuvent décider seules de ce qui représente un risque pour leurs intérêts et justifie d’attenter à la liberté de presse et à la protection des sources. A vrai dire, cette opacité volontairement maintenue s’avère d’autant plus paralysante qu’elle est souvent destinée à servir les intérêts pas tant du peuple français mais ceux qui s’y opposent. Dans l’affaire des exportations d’armes française à l’entité sioniste, rien n’explique ce soutien explicite de Paris à un régime sanguinaire si ce n’est la soumission de Paris aux diktats des lobbies sionistes français. La liberté de presse est ainsi mise à mal par de tels agissements en invoquant une loi controversée.
Liberté de presse : pressions politiques croissantes, concentration et dépendance
Le piétinement de la liberté de presse ne se limite pas à la seule « démocratie » française. Les responsables politiques constituent la principale menace pour la liberté de la presse dans toute Europe, la situation étant jugée « problématique » dans un tiers des États membres de l’UE, tandis que même les pays où la situation est jugée « bonne » et « plutôt bonne » chutent dans le classement mondial de la liberté de la presse 2024 publié par Reporters sans frontières (RSF).
La révolution intervenue ces quinze dernières années est bien la prise de contrôle de l’essentiel du système médiatique privé par des hommes d’affaires directement liés aux milieux du lobbing. Souvent dépendants de la commande publique, ces « capitaines d’industrie » structurent aujourd’hui le paysage de l’information.
La France souffre de ce tare d’avoir aujourd’hui 90% des quotidiens nationaux et la totalité des chaînes de télévision privée détenus par sept grands industriels et financiers pro sionistes, dont les intérêts consistent à défiguer la réalité et à manipuler l’opinion.
Ce phénomène d’alignement s’est même accéléré au niveau local. Un rapport très officiel publié par l’inspection des finances et l’inspection des affaires culturelles fait d’ailleurs allusion à cet alignement en le qualifiant de « concentration ». « La concentration de la presse est élevée pour la presse quotidienne nationale et très forte pour la presse quotidienne locale ».
Une nouvelle crise est en cours : une crise d’indépendance, la plupart de ces grands actionnaires faisant valoir dans leurs médias leurs intérêts et positions politiques. Dans un système d’information en crise et structurellement déficitaire, les médias rachetés par les industriels et financiers sont d’abord utilisés comme leviers d’influence et de lavage de cerveau.
Ainsi, la liberté de la presse est mise à mal par cet affaissement de l’indépendance de la qualité de l’information qui se présente comme une explication majeure du gouffre de défiance qui s’est créé entre l’opinion publique et les médias.
Agressions physiques et offensives judiciaires contre le journalisme indépendant
Le nombre d’agressions physiques contre des journalistes, mais aussi les faits de harcèlement et d’intimidation ont atteint « des niveaux records » en France.
Les alertes reçues par le Conseil de l’Europe témoignent « d’insultes, de menaces, de destructions de matériel ou d’interventions qui font ressortir que, lors d’évènements publics, les forces de l’ordre ignorent ou ne tiennent pas suffisamment compte de l’obligation qui leur incombe de protéger les acteurs des médias et leur matériel ».
Parmi les atteintes caractérisées à la liberté de la presse, on peut citer l’obstruction exercée lors de manifestations par les forces de l’ordre, « notamment sous la forme d’agressions physiques, d’actes d’intimidation, d’arrestation et de placement en détention, ou encore d’ordres exigeant d’arrêter de filmer ou interdisant l’accès à certains lieux.»
Ces dernières années ont été marquées également par de multiples offensives judiciaires contre des journalistes. Des procès en cascade ont été intentés par des hommes d’affaires ou encore des lobbistes à la suite de publications d’enquêtes, obligeant des titres financièrement fragiles à engager de lourds frais d’avocat et de justice.
Le syndicat national des journalistes a saisi la Défenseure des droits des cas de plusieurs journalistes cibles de violences policières lors des manifestations contre la réforme des retraites.
Tel est le paysage de l’information en France. Une dégradation spectaculaire et continue, doublée d’une précarisation croissante du métier de journaliste et les multiples atteintes au droit à une information pluraliste et de qualité des citoyennes et des citoyens.
Les syndicats de journalistes, les collectifs, les avocats spécialisés en droit de la presse, les associations de défense des libertés publiques, les sociétés de journalistes de nombreux médias tirent la sonnette d’alarme depuis trop longtemps sur la dégradation du système d’information : la liberté de presse est malmenée par des obstructions inquiétantes.
Une crise de confiance des français envers les médias
Autre source d’inquiétude, la liberté de presse est minée par une forte défiance à l’égard des médias et des journalistes.
Quelque 57% des Français considèrent qu’il faut se méfier de ce que disent les médias sur les grands sujets d’actualité, selon la 37e édition du baromètre La Croix-Kantar Public sur la confiance des Français dans les médias.
Parmi les objets de défiance, on peut citer la perception de l’indépendance des journalistes, puisque 59% des personnes sondées considèrent qu’ils ne sont pas indépendants aux pressions des partis politiques, des lobbistes et du pouvoir, et 56% pensent qu’ils ne résistent pas aux pressions de l’argent.
Ce qui est grave, c’est ce que ce sont les journalistes et leur métier qui en font les frais. Des tendances politiques qui représentent une part importante de l’opinion publique ne sont plus correctement représentées dans les médias, et ne peuvent plus apporter la contradiction aux hommes politiques, ce qui représente une menace pour la démocratie.
Les extrêmes ne sont pas affaiblis parce qu’on les marginalise dans les médias, en tout cas pas à long terme. Cette politique risque de se retourner contre ceux qui la promeuvent.
Pour autant, c’est dans ce paysage sinistré de l’information en France que des dizaines de médias indépendants tentent de produire un journalisme de qualité, indépendant, et de reconstruire une relation avec des publics qui ne font plus confiance et se détournent des médias de masse. Ces médias indépendants inventent de nouveaux formats, s’adaptent aux nouveaux usages et investissent dans le numérique. C’est sans doute dans cette galaxie de plusieurs centaines de médias indépendants que s’invente le futur et se reconstruit le journalisme.