En attendant l’Extrême droite qu’elle arrive!

Remy Legaros
17 Min Read
Marine LePen, la chef de l'extrême droite française
  • Ecrit par Agathe Thomas

Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen a créé sans doute le plus grand choc électoral de l’histoire de la République française. En remportant près de 17 % du scrutin présidentiel, soit le soutien de quelque 4,8 millions d’électeurs, le leader du Front national (FN) a battu le Premier ministre et candidat socialiste, Lionel Jospin, pour défier le président sortant néo-gaulliste, Jacques Chirac, et accéder à la plus haute fonction politique de la France. Le second tour prévu entre le centre-droit et le centre-gauche s’est donc transformé en un affrontement entre la République et l’extrême droite.

Les rues françaises sont devenues le théâtre de la plus grande manifestation publique orchestrée contre une personnalité politique en France. La « République » a remporté le second tour de scrutin de façon retentissante. Mais la participation de Le Pen et sa capacité à attirer et à conserver le soutien de plus d’un électeur sur six ont représenté la plus forte performance jamais réalisée par un candidat ou un parti d’extrême droite dans une élection nationale française.

Quelques semaines plus tard, alors que le président réélu Chirac prend part au traditionnel défilé du 14 juillet sur les Champs-Élysées, un coup de feu est tiré d’un fusil de petit calibre. Il s’avère que l’assassin présumé est un sympathisant néonazi, lecteur de Brasillach et de Drieu La Rochelle, qui a déjà fait partie de certains des groupes militants les plus radicaux de l’extrême droite française. Il s’est également avéré que la même personne s’était portée candidat aux élections municipales de 2001 pour le Mouvement National Républicain (MNR), le parti créé par Bruno Mégret en 1999 après sa révocation du poste de délégué général du FN.

Papon ; « Dreyfus des temps modernes »

La tentative d’assassinat du Président par un solitaire inadapté était une parodie des tentatives d’assassinat concertées menées par des extrémistes de droite et des officiers dissidents de l’armée contre le prédécesseur de Chirac, Charles de Gaulle, au plus fort de la crise algérienne au début des années 1960 ; mais elle a ravivé le spectre de la violence politique en France. Elle a aussi jeté la lumière sur les franges obscures de l’extrême droite contemporaine.

Deux autres événements dignes d’intérêt se sont produits dans les semaines qui ont suivi le passage de Le Pen au second tour de la présidentielle. Le premier était le soixantième anniversaire, le 16 juillet 2002, de l’arrestation massive par la police française de près de 13 000 juifs dans le Paris occupé, dont la plupart ont été rassemblés dans le stade sportif du Vélodrome d’Hiver avant d’être déportés vers Auschwitz via des camps de détention français. Bien que 60 000 autres juifs étrangers et français aient été déportés vers la mort, la « rafle du Vel d’Hiv » est le monument le plus frappant de la collaboration active de la France de Vichy avec l’Allemagne nazie de 1940 à 1944.

La cérémonie solennelle de commémoration a contrasté avec le tollé qui a accueilli l’annonce, en septembre 2002, de la libération pour raisons de santé de Maurice Papon, 92 ans, qui n’avait purgé que trois ans de sa peine de dix ans de prison pour complicité de crimes contre l’humanité. En tant que secrétaire général de la préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, Papon avait supervisé la déportation des juifs de la région de Bordeaux. Condamné en 1998 à l’issue de l’un des plus longs procès de l’histoire judiciaire française, il s’est qualifié, dans une remarque lourde de sens historique, de « Dreyfus des temps modernes ».

L’influence du FN sur l’agenda politique de la France contemporaine

La tradition de l’extrême droite constitue une composante importante de la culture politique française, d’autre part, son expression continue, bien que modifiée, dans la France d’aujourd’hui ne peut être comprise que par une référence étroite au passé. Depuis la Seconde Guerre mondiale, la conscience politique et, dans une large mesure, les institutions politiques de l’Europe occidentale ont été façonnées par l’héritage du national-socialisme allemand et du fascisme italien, les idéologies nationalistes dominantes nées au cours de ces années fébriles (1919-1939) et désignées aujourd’hui par le terme générique de « fascisme ».

L’expérience de la France dans l’entre-deux-guerres, sous l’occupation nazie, et par rapport à cet héritage fasciste depuis 1945 reste un domaine très contesté de l’histoire politique française moderne, tandis que le défi électoral soutenu d’un parti d’extrême droite en France aujourd’hui impose avec urgence la nécessité de comprendre l’arrière-pays idéologique dont il émerge et les valeurs qu’il représente. L’importance d’une appréciation historiquement informée du FN ne découle pas seulement des 5,5 millions de voix obtenues par Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002 ; elle découle également, et peut-être de manière plus impérative, de l’influence que lui et son parti ont exercée sur l’agenda politique de la France contemporaine, malgré les obstacles institutionnels qui les ont empêchés de jouer un rôle proportionnel à leur soutien électoral.

« La tragédie de l’Algérie française » comme une blessure par le passage du temps

Lorsque, lors de son dernier meeting pré-électoral d’avril 2002, Le Pen a invoqué la trilogie de Vichy « Travail, Famille, Patrie » comme des valeurs sans lesquelles il n’y a pas de société durable, il a défié un tabou qui perdurait en France depuis la Libération. Il a aussi approuvé le système de valeurs du régime le plus infâme de l’histoire moderne de la France. L’indignation provoquée par son affirmation, dans une interview à l’hebdomadaire de l’extrême droite Rivaro, selon laquelle l’occupation « n’était pas particulièrement inhumaine » et que la France devait dissiper « les mensonges sur son histoire », a montré à quel point la collaboration pendant la guerre restait un sujet d’actualité non seulement pour le leader du FN, mais aussi pour une France qui cherchait encore à accepter son rôle d’auxiliaire du Reich hitlérien. D’autres exemples abondent de l’importance de l’histoire.

En déplorant l’abandon des territoires français d’outre-mer, c’est à « la tragédie de l’Algérie française » que le FN fait référence aujourd’hui encore, comme une blessure non cicatrisée par le passage du temps. De même, lorsque le FN appelle à un « procès de Nuremberg » du communisme, il cède à un élan qui ne s’est pas démenti depuis la disparition de son grand démon de jadis, l’Union soviétique ; mais il aspire aussi, plus généralement, à redresser le déséquilibre moral qui, selon lui, a prévalu en Europe au profit de la gauche et au détriment de la droite depuis la justice des vainqueurs de 1945. Le passé est toujours présent dans la vision du monde de Le Pen et son parti, et les décennies qui se sont écoulées depuis les événements marquants des années 1940 n’ont guère permis de tourner la page.

Un intérêt chez les universitaires pour La chef de l’extrême droite française

Le Front national est le parti politique le plus controversé de la France contemporaine. Depuis son émergence électorale au milieu des années 1980, le parti domine le paysage politique français, fixant l’agenda et forçant les autres partis à se positionner sur toute une série de questions et de débats. Le Front national en France est une enquête fascinante sur le type particulier de nationalisme qu’il embrasse. Il explore le système de valeurs du mouvement et explique la manière dont l’idéologie du Front national a été formulée et articulée dans les années 1980 et 1990.

À la fin des années 1990, on peut affirmer, de manière tout à fait plausible, que le Front national, dirigé et incarné par Jean-Marie Le Pen, est l’un des acteurs clés de la politique française. Son pouvoir ne réside pas seulement dans les votes qu’il obtient, une moyenne de 15 pour cent dans toutes les élections, mais, peut-être de manière plus significative, dans l’influence qu’il exerce. Il suffit de feuilleter n’importe quel journal national pour se rendre compte que le parti a réussi à hisser ses préoccupations au sommet de l’agenda politique national et à forcer les autres formations politiques à réagir et à se positionner sur ces questions particulières, notamment, bien sûr, l’immigration.

La communauté universitaire a également montré un intérêt considérable pour le phénomène Le Pen. La pléthore d’études récentes sur le FN en est un témoignage adéquat. Toutefois, certaines des enquêtes les plus récentes présentent un avantage significatif. La réalité de la situation est que le FN est une variable nouvelle et imprévisible, non plus dans les marges obscures de la vie politique française, mais au cœur même de la discussion et du débat contemporain. Le parti lui-même peut prétendre que les idées qu’il défend bénéficient d’un large soutien, c’est une question d’interprétation, mais le fait est que les principes politiques du FN ont suscité une controverse soutenue.

Le FN est-il bien aux portes du pouvoir?

On a beaucoup parlé d’une « auto-obsession gauloise ». Ce n’est peut-être pas le point de départ le plus utile pour une évaluation des idées politiques embrassées par le FN, mais il indique la toile de fond dans laquelle nous devrions essayer de comprendre le nationalisme du parti. L’argument principal à poursuivre est que la nation, et l’accent profond mis sur cette idée, est au cœur du système de valeurs du FN. Cest la clé pour acquérir une compréhension complète de l’idéologie et du discours du parti.

En outre, il sera soutenu que, sur trois décennies, le FN a été cohérent dans son adhésion à une marque particulièrement virulente de nationalisme « fermé » : un credo politique qui l’a rendu très sensible aux éléments étrangers et à la menace qui en découle pour la nation française et que, selon le parti, ils incarnent. Dans son discours de protestation contre la Cinquième République et les gouvernements successifs (principalement de gauche), et dans son discours municipal plus récent (lorsqu’il a effectivement détenu le pouvoir), le nationalisme traditionnel et défensif du FN a été central.

Le Front national est aux portes du pouvoir. Cela résume bien l’attitude de la classe politique française à l’égard du Front national. Les partis dominants, aussi bien Le Parti socialiste à gauche que Les Républicains à droite, ont peur. Ils ont peur que la vague FN continue de déferler sur la France. Ils ressentent une appréhension pour que le séisme de 2002 et 2017, qui a vu Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles, se répète. ils ont peur que Marine Le Pen accède à la présidence en 2022. Ces craintes sont-elles justifiées ? Le FN est-il bien aux portes du pouvoir ?

Plus de confiances en FN sous la direction de Marine Le Pen

La réponse à ces questions n’est ni évidente ni facile. A vrai dire le FN s’est transformé d’un parti prospère mais marginal en un acteur majeur de la politique française. Depuis que Marine Le Pen a pris les rênes en 2011, le FN a réussi sur trois fronts. Premièrement, en termes d’opinion publique, Marine Le Pen a retourné l’opinion d’une partie importante de la population française en faveur du parti de l’extrême droite. À part ceux qui percevaient le FN comme un « parti comme les autres » sous la direction de Jean-Marie Le Pen, ils ont beaucoup plus de confiances en FN depuis que Marine Le Pen est aux commandes.

Deuxièmement, le parti a multiplié ses effectifs par un facteur de trois ou quatre. Alors que le FN comptait environ 20 000 membres au début du XXIe siècle, il en comptait entre 60 000 et 80 000 en 2014. Ce qui en fait le troisième plus grand parti de France. Enfin, le parti a atteint des sommets électoraux jusque-là inédits.

Lors de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen a obtenu 18 % du vote populaire. Aux élections européennes de 2014 et aux élections départementales de 2015, le FN a obtenu respectivement 24,9 % et 25,2 % des suffrages exprimés. Ce qui le place en première et deuxième position parmi tous les partis français lors de ces élections. Les élections régionales de décembre 2015 ont vu un nouvel essor du vote FN, avec 27,9 % au premier tour. En outre, les élections présidentielle de 2017 avec 21,30 % des voix au premier tour et 33,90 % des voix au deuxième tour. Et enfin les élections régionales de 2021 avec 19,34 % des voix au premier tour et 19,05 % des voix au deuxième tour.

Passeport sanitaire ; une atteinte aux libertés individuelles selon les critiques

Le président français Emmanuel Macron a pris ses fonctions en 2017 après avoir battu sa rivale Marine Le Pen par plus de dix millions de voix. Cependant, le temps de M. Macron en tant que président a été entaché par un certain nombre de protestations qui ont affecté sa popularité. Cette année, des manifestants ont demandé à M. Macron de renoncer aux projets controversés de passeports sanitaires, les critiques estimant que cette politique constitue une atteinte aux libertés individuelles. La leader du Rassemblement national a abandonné ses projets de Frexit en 2019, mais reste ardemment eurosceptique. Si elle est élue, les conséquences pourraient être remarquables pour le bloc.

Une plus grande partie de l’électorat se rallie aux positions du Rassemblement national sur la souveraineté nationale, l’immigration, la criminalité et la sécurité, et compte tenu de la gestion chaotique de la pandémie par Bruxelles, sur l’Union européenne. L’organisation internationale qui a le plus à perdre est l’UE. Le premier tour de l’élection présidentielle française doit avoir lieu le 10 avril. Si aucun des candidats n’obtient la majorité, comme c’est probable, un second tour aura lieu entre les deux premiers candidats deux semaines plus tard.

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