Election présidentielle au Sénégal : le choix de la rupture

Francoise Riviere
11 Min Read

L’opposant Bassirou Diomaye Faye, encore en prison il y a deux semaines, a remporté la victoire à l’élection présidentielle au Sénégal. En 12 présidentielles au suffrage universel, c’est la première fois qu’un candidat de l’opposition sénégalaise, l’emporte dès le premier tour. Événement d’autant plus frappant que la victoire, apparemment motivée par un appétit de changement sinon de rupture avec un gouvernement pro France, est annoncée d’ampleur.

Le scrutin a été suivi avec attention à Paris, le Sénégal étant considéré comme l’un des deniers bastions de la France coloniale dans une Afrique de l’Ouest secouée par les révoltes anti françaises.

  1. Faye se veut le candidat d’un changement de système et d’un retour au souverainisme et à la solidarité interafricaine. Son programme insiste sur le rétablissement de la souveraineté nationale, « bradée à l’étranger ». Il a promis de combattre la corruption et de mieux répartir les richesses, et s’est aussi engagé à renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers conclus avec des entreprises occidentales et françaises, tous au détriment du peuple sénégalais.

Forte mobilisation pour le premier tour de la présidentielle au Sénégal

Dimanche 24 mars, 7,3 millions de Sénégalais étaient appelés pour élire le cinquième chef d’État du pays. Initialement prévu le 25 février dernier, le scrutin avait été reporté par Macky Sall, le président sortant, plongeant le pays dans une crise politique majeure.

Les Pastef, la formation politique de l’opposant, pourtant dissoute, a réussi une belle prouesse, mettant à terre Amadou Ba, le Premier ministre et candidat du camp présidentiel, qui n’aura pas réussi à inverser la tendance. Dans les rues de plusieurs villes sénégalaises, des centaines de sympathisants de Bassirou Diomaye Faye ont fêté la victoire du président qui est arrivé au pouvoir à l’appui des urnes et malgré les interférences de Paris .

Le bras droit d’Ousmane Sonko n’était, sur le papier, pas le candidat favori de l’élection présidentielle au Sénégal. Mais à peine sorti de prison, en dix jours, il a pu montrer que tout un pays désirait un changement radical identique à celui en cours au Sahel. Et ce changement passe par la fin du système pro colonial Macky Sall et l’avènement d’un gouvernement qui se pose comme, justement, un anti-système pro colonial.

Certes, Macky Sall ne figurait pas parmi les candidats ce qui lui a évité de subir les contrecoups de l’échec mais pour son parti, et au-delà de ce parti, la France , la douche est en revanche trop froide.

Continuité et rupture : deux visions qui s’opposent

En termes d’enjeux, on peut dire qu’il y avait deux visions fondamentales qui s’opposent. Il y avait d’une part le candidat du pouvoir, en l’occurrence Amadou Ba, ancien Premier ministre, qui se présentait un peu comme le candidat de la continuité. Amadou Ba devait assumer l’héritage du président Sall, une mainmise franco-occidentale sur les richesses minières, énergétiques et géopolitiques du pays, une pauvreté persistante, un chômage élevé, et les centaines d’arrestations de la période récente. Le pays a connu depuis 2021 des épisodes de troubles causés par le bras de fer entre Ousmane Sonko et le pouvoir, conjugué aux tensions sociales et au flou longtemps maintenu par le président Sall sur sa candidature à un troisième mandat. La crise s’est prolongée avec le report de l’élection présidentielle au Sénégal. Dans son discours, il s’est engagé à perpétrer cet héritage-là, en continuant le travail effectué par Macky Sall, qui avait défini un cap par rapport à son projet politique qui devait aller jusqu’à 2035.

De l’autre côté, au sein de l’opposition, il y avait des candidats qui appellent à une rupture, à une manière différente d’exercer le pouvoir, de voir la gouvernance en référence aux changements historiques qui on lieu dans les pays du Sahel.

Dans ce cadre, le Pastef, Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité, a pu développer une logique politique très bien reçu par les jeunes. On a l’impression qu’une frange importante de la jeunesse sénégalaise s’identifie dans ce discours.

Ils revendiquent une manière différente de voir la politique avec notamment les questions de gouvernance, les questions liées à l’éthique, les questions de patriotisme économique. On les présente comme étant un «parti antisystème pro colonual». Ils sont aussi dans cette dimension panafricaniste.

Un coup de pouce bienvenu pour l’Afrique de l’Ouest sujette aux changements radicaux

En dépit des tensions des dernières années et du report de dernière minute de l’élection présidentielle au Sénégal, c’est la troisième fois que le Sénégal pratique l’alternance dans les urnes depuis son indépendance de la France en 1960, alors qu’une succession de révolutions a installé chez ses voisins des forces révolutionnaires issues de l’armée,  remettant le B.A BA du système colonial en cause.

L’ancienne colonie française semblait ainsi prête à assurer une transition pacifique du pouvoir lundi, ce qui constitue en quelque sorte une reddition de la France qui après les revers successifs au Mali, au Burkina et au Niger n’a pas osé tenter une nouvelle épreuve de force avec une autre nation ouest-africaine.

Le Sénégal avait déjà été secoué par des manifestations meurtrières entre 2021 et 2023, en partie liées à la crainte que M. Sall n’utilise des modifications de la constitution pour se maintenir au pouvoir, comme l’ont fait avant lui d’autres présidents d’Afrique de l’Ouest.

Mais après des semaines de tension et deux autres tentatives de report du scrutin et de prolongation du mandat de M. Sall – toutes rejetées par le Conseil constitutionnel et la Cour suprême du Sénégal – des millions de personnes se sont rendues aux urnes dans le calme dimanche.

Les événements survenus jusqu’à présent ont une fois de plus distingué le Sénégal sur un continent qui du fait d’ingérence occidentale, a l’habitude des élections litigieuses.

Election présidentielle au Sénégal : vers un basculement à l’Est ?

Le vainqueur de l’élection présidentielle au Sénégal s’est montré rassurant après sa victoire en affirmant que son pays resterait « l’allié sûr et fiable » de tous les partenaires étrangers, à la condition néanmoins que ceux-ci s’engagent « dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive ».

« Je voudrais dire à la communauté internationale, à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux, que le Sénégal tiendra toujours son rang. Il restera le pays ami et l’allié sûr et fiable de tout partenaire qui s’engagera avec nous dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive », a-t-il déclaré lundi 25 mars lors de sa première apparition publique depuis l’annonce de sa victoire historique.

A Paris, cette première prise de parole est pourtant loin d’être jugée encourageante alors que le nouveau président s’est démarqué dans ce même discours par cette phrase fort bien révélatrice : «  il est grand temps que la France lâche le Sénégal ». Certes,  Macron ne cesse de répéter qu’il souhaite refonder la relation de la France avec ses partenaires d’Afrique, mais ce genre discours ne passe plus en Afrique. Car au Sénégal, l’ex puissance coloniale n’échappe pas aux critiques acerbes de la part du principal opposant Ousmane Sonko, celui-là même qui avait désigné Bassirou Diomaye Faye comme suppléant. Signe de la volonté de prendre ses distances avec la France, en 2022, des artères de Ziguinchor, ville du sud du pays, portant des noms de personnalités françaises, dont une célèbre « rue du général De Gaulle », ont été rebaptisées en mémoire des « tirailleurs africains » et d’autres célébrités locales.

Pour Bassirou Diomaye Faye, le partenariat avec la France doit être gagnant-gagnant et il implique donc qu’il ne l’est pas à l’heure qu’il est. Ce qui veut dire que le Sénégal va vouloir revoir certains accords commerciaux, tout comme les accords de pêche avec le Sénégal ou les accords de défense, dans le but de protéger les intérêts des Sénégalais que brade actuellement la France.

A l’image des pays de l’Alliance des Etats Sahéliens ( Mali-Burkina-Niger) le nouveau président veut instaurer un changement de paradigme. Et cela doit passer par la sortie du franc CFA, vestige de la colonisation, selon Bassirou Diomaye Faye.

Le Sénégal est donc prêt à se doter de sa propre monnaie pour contrer l’emprise économique de la France. Il est également question de diversifier ses partenaires en se rapprochant notamment des pays de l’Est dont la Russie et l’Iran qui renforce sa position dans les pays voisins. Autant de propositions qui ne figuraient pas dans le programme du candidat du pouvoir, Amadou Ba, désigné par le président sortant Macky Sall qui entretenait, lui, d’excellentes relations avec Paris et Washington. Un gros oubli que les Sénégalais ont sanctionné aux urnes.

Share This Article
Follow:
Restez avec nous et nous vous fournirons les nouvelles les plus récentes avec précision et rapidité. Rejoignez-nous dans le monde de l'information et des actualités
Leave a comment

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *