L’ancienne ministre de la Santé a été mise en examen, vendredi 10 septembre, par des magistrats de la Cour de justice de la République (CJR) pour « mise en danger de la vie d’autrui » au début de la crise sanitaire. Elle a également été placée sous le statut de témoin assisté pour « l’abstention volontaire de combattre un sinistre » dans ce même dossier. Alors que l’épidémie de Covid-19 envahissait le pays, Agnès Buzyn avait quitté son poste pour une candidature aléatoire à la mairie de Paris. L’affaire Buzyn est la première d’une longue série de mises en examen à venir, consacré à la manière dont les membres du gouvernement ont anticipé puis géré l’épidémie de coronavirus qui a fait plus de 115 000 décès en France.
« Une affaire qui engage notre conception de la vie démocratique »
Alors que la CJR enquête depuis juillet 2020 et en général 16 plaintes ont été déclarées recevables, C’est la première mise en examen liée à la gestion gouvernementale de l’épidémie de Covid-19 en France. Outre l’affaire Buzyn, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, et l’actuel ministre de la Santé, Olivier Véran, sont aussi visés par l’enquête. Selon Jérôme Chapuis, rédacteur en chef à la Croix, « On ferait une erreur en considérant qu’il ne s’agit que d’une querelle de juristes. Car l’affaire engage notre conception de la vie démocratique », explique-il.
D’une part, la mise en examen de l’ancienne ministre de la Santé porte à dix le nombre de ministres ou secrétaires d’Etat ayant eu des démêlés judiciaires depuis le début de la présidence d’Emmanuel Macron en 2017. D’autre part, la légitimité de cette décision, à quelques mois de l’élection présidentielle est mise en question. Il faut bien noter que la pression sur le personnel politique n’a jamais été si forte. En plus, la faiblesse du gouvernement en gérant la crise sanitaire n’est pas à négliger.
Pour la majorité, l’ex-ministre de la santé « a fait tout ce qu’elle pouvait et sans doute plus pour nous protéger ». Selon la députée LREM Aurore Bergé, la décision de la CJR « crée un précédent dangereux », estime-t-elle: «Un ministre de l’Intérieur peut-il demain être tenu pour responsable pénalement d’un attentat qui serait commis puisqu’une ministre de la Santé semble pouvoir l’être pour la gestion d’une pandémie mondiale ? » « “Mise en danger de la vie d’autrui”, c’est très large et permet à peu près tout. Incidemment, on place le juge répressif en position d’évaluer une politique publique. C’est un problème sur le plan de la séparation des pouvoirs. » explique Pierre Egéa, professeur de droit public et avocat à propos de l’affaire Buzyn.
Peut-on parler d’une forte judiciarisation de la vie politique ?
Les incertitudes scientifiques autour du virus dès le début de l’année 2020 jusqu’à maintenant, est une autre raison pour laquelle la légitimité de cette accusation est mise en question et le fait de ne pas avoir respecté les obligations de la part de Madame Buzyn n’est plus recevable.
Le « délit d’abstention volontaire de combattre un sinistre » est sous les mêmes critiques. Pour Didier Rebut, professeur de droit à l’université Paris2, « Il est très difficile d’établir son caractère volontaire. » Car elle n’avait pas eu suffisamment de connaissance de la réalité de cette pandémie.
Mais faut-il croire qu’il y a une forte judiciarisation de la vie politique ? selon les membres du gouvernement, la réponse est « oui ». Alors qu’elle est la seule habilitée à instruire les plaintes contre les ministres et à juger ceux-ci, son rôle de sanctionner les décisions du gouvernement a été mise en doute. Pour le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, qui plaide pour la suppression de la CJR, «la vie politique n’est pas plus ou moins judiciarisée. En revanche, il y a peut-être une politisation de la vie judiciaire, un risque de dérive politique de cette instance judiciaire ». Mais en définitive, il faut attendre de voir à quel point la CJR pourra continuer à mettre en examen les autorités politiques à quelques mois de l’élection présidentielle.