Attaque américano-britannique contre le Yémen : comment se positionne la France ?

Francoise Riviere
9 Min Read

Dans la nuit du 11 au 12 décembre, les forces aériennes américaines et britanniques ont réalisé au moins 60 frappes contre le Yémen, avec plus de 100 munitions de haute précision. L’absence de certains pays, pourtant concernés par la situation sécuritaire en mer Rouge, peut surprendre. C’est notamment le cas de la France qui, pourtant, avait salué « toute initiative visant à renforcer la liberté de circulation en Mer rouge, comme celle de la coalition annoncée par les États-Unis le 18 décembre ». Ce positionnement de la France vis-à-vis des frappes américano-britanniques méritent réflexion et suscitent des interrogations.

Au moment de l’annonce de la création de la coalition navale « Gardiens de la prospérité », placée sous commandement américain, il avait été avancé que plusieurs pays membres de l’Union européenne y prendraient part, dont la France, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne. Depuis, cette liste a évolué : Paris et Rome ont décidé de maintenir leurs moyens déployés en mer Rouge sous commandement national tandis que le gouvernement espagnol a décliné toute participation.

Reste à connaître les raisons qui ont incité Paris à prendre ses distances avec la coalition anglo-saxonne, d’autant plus que, pour la France, la liberté de navigation en mer Rouge est d’une importance cruciale pour ses intérêts, ne serait-ce que pour assurer les liaisons maritimes avec ses territoires de l’océan Indien et ceux de l’océan Pacifique.

 

Pourquoi la France n’a-t-elle pas participé aux frappes américano-britanniques contre le Yémen ?

Près d’un mois après son lancement, l’opération « Gardiens de la prospérité », cette coalition navale créée mi-décembre, sous la pression des Etats-Unis, n’a jusqu’à présent pas réussi à obtenir beaucoup de renforts de la part des Occidentaux, Européens en tête. Ces réticences ont contribué à l’isolement des Etats-Unis dans la zone, face à la multiplication des attaques des forces yéménites contre les navires affiliés à Israël ou se dirigeants vers les ports israéliens.

Alors que 75 % des exportations européennes transitent par le canal de Suez, situé au nord de la mer Rouge, et que le trafic maritime dans la zone a baissé de 22 % ces dernières semaines, seul le Royaume-Uni, fidèle allié militaire de Washington, a rapidement déployé un destroyer pour soutenir la nouvelle coalition. Le Royaume-Uni est d’ailleurs le seul pays européen à avoir pleinement contribué aux frappes sur les positions yéménites dans la nuit du 11 au 12 janvier.

Pour expliquer son positionnement, la France s’est défendue diplomatiquement. Le dispositif militaire de la France en mer Rouge reste « sous commandement français » et n’est sous « aucune subordination » au partenaire américain, a souligné le vice-amiral Emmanuel Slaars, commandant des opérations françaises dans l’Océan indien.

« Il n’y a aucune subordination au partenaire américain, en revanche on a une répartition géographique intelligente des efforts et nous partageons nos informations. Nos bâtiments sont reliés entre eux de telle sorte que ce qui est détecté par l’un est vu en temps réel », a-t-il précisé lors d’une visioconférence au ministère des Armées.

Sous prétexte de rétablir la liberté de navigation, les États-Unis ont mis en place une coalition internationale en décembre. La France est aux côtés de Washington dans cette opération nommée « Gardiens de la prospérité ». Cette coalition repose essentiellement sur un groupe aéronaval américain constitué du porte-avions Eisenhower et de plusieurs destroyers dont un britannique, le HMS Diamond.

A rappeler que la France, qui veille à ses intérêts commerciaux au Yémen, n’a pas signé un avertissement adressé au mouvement Ansarallah par les pays membres de la coalition sous commandement américain. L’absence notable de la France a toutefois été relevée mercredi lors de la conférence de presse quotidienne du coordinateur de la communication stratégique du NSC américain, John Kirby.

L’absence de la France dans la liste des signataires du communiqué de mercredi semble contredire la position du président Macron qui, cité par le Canard enchaîné, aurait confié à des proches qu’il est probable que « la France ne se limitera pas à des actions défensives face aux opérations yéménites en mer Rouge ».

Lors d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies dédiée à la situation en mer Rouge, le 3 janvier, le représentant français, Nicolas de Rivière, a affirmé que, « par leurs actions armées, les Houthis portent la responsabilité extrêmement lourde de l’escalade des tensions dans la région, ainsi que pour la stabilité internationale».

Et d’ajouter : « Pour sa part, la France rappelle que les États ont le droit de prendre des mesures appropriées pour assurer la sûreté en mer », comme elle l’a fait «lorsque la frégate Languedoc a détruit le 9 décembre des drones qui menaçaient un navire français ». La non-participation de la France aux frappes américano-britanniques sur le Yémen s’expliquerait toutefois par les intérêts qu’elle possède à ce carrefour stratégique.

Comment les attaques en mer Rouge pourraient se reporter sur l’économie française ?

Face aux tensions qui se sont accentuées ces derniers jours en mer Rouge, la plupart des transporteurs maritimes renonce à emprunter le Canal de Suez qui fait la jonction entre la mer Rouge et la Méditerranée. Considérée comme une autoroute maritime, la mer Rouge relie la Méditerranée à l’Océan Indien, donc directement l’Asie à l’Europe, dans les deux sens. Et depuis le 19 octobre, plus d’une vingtaine d’opérations ont été menées par les forces armées yéménites contre des navires liés à Israël dans cette région qui voit passer 12% du commerce maritime mondial.

Depuis le 1er janvier 2024, certaines de ces entreprises de transports ont annoncé la hausse de leurs tarifs pour compenser. Hausse des tarifs qui sera vraisemblablement reportée sur les prix de vente des produits. Et ainsi participer au maintien d’un niveau d’inflation élevé cette année encore.

Les navires sont détournés vers le Cap de Bonne Espérance, au large de l’Afrique du Sud, ce qui rallonge le voyage d’une bonne semaine, entraînant évidemment une hausse des prix conséquente. Ce qui pose problème pour l’approvisionnement de l’Europe en marchandises de toutes sortes, avec toutes les conséquences logistiques. Le Français CMA-CGM annonce le quasi doublement de ses tarifs de fret à partir du 15 janvier.

L’Union européenne s’inquiète des risques pour l’économie des tensions en mer Rouge, en particulier de leur éventuel impact sur les prix de l’énergie, a déclaré lundi le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni.

En effet, entre le 17 et le 22 novembre, le prix du Brent a augmenté de près de 2%. Sur une période de 5 jours autour de l’attaque, les prix du gaz naturel en Europe ont également augmenté de 3,6%.

«En prenant en compte la hausse du coût du fret maritime dû à ces attaques, leur impact sur le prix des importations et leur répercussion dans l’indice des prix à la consommation, nous estimons que les attaques en mer Rouge conduiraient à une hausse de l’inflation française en 2024», préviennent les économistes.

Dans tous les cas, cette situation vient alourdir le contexte inflationniste général : des questions logistiques qui compliquent les chaînes d’approvisionnement, augmentent les coûts de transports, donc de production et de vente des produits et biens de consommation courante dans les magasins français. Cela pousse les économistes à envisager une poursuite durable de l’inflation.

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