De la démocratie aux marchés : la mutation de la politique dans l’UE

Francoise Riviere
8 Min Read
Maastricht, NETHERLANDS: A paper version of the Maastricht Treaty is stored 06 February 2007, almost 15 years after its signing, in a bank vault in the southern Dutch town. The treaty, which is kept in Rome, was brought back to Maastricht for a commemoration of its 15th anniversary. AFP PHOTO / MARCEL VAN HOORN - NETHERLANDS OUT - (Photo credit should read MARCEL VAN HOORN/AFP via Getty Images)

Conformément aux dispositions de l’article 104 du traité de Maastricht de 1992 et de l’article 123 du traité de Lisbonne de 2007, les nations européennes ont été privées de leur capacité à obtenir des prêts directement auprès de leur banque centrale. De plus, ils ont renoncé à leur autorité pour établir leur propre monnaie. Par conséquent, ces pouvoirs souverains ont été transférés au secteur privé, ce qui a conduit les États à s’endetter envers eux. L’influence des articles 104 et 123 au sein des traités européens a ainsi conduit au transfert de souveraineté monétaire.

Grâce à des mesures qui ont déguisé la crise de la dette privée des banques en crise de la dette publique des États, la souveraineté monétaire a été neutralisée, entraînant une inversion complète de la relation entre l’État et l’économie. C’est désormais l’économie qui détient le pouvoir souverain, tandis que l’État, s’il subsiste encore, se voit réduit à un simple défenseur des intérêts du capital et de sa logique. Cette dynamique a pour conséquence une redéfinition de la politique comme une simple continuation de l’économie par d’autres moyens.

Depuis l’époque où les physiocrates utilisaient leur tableau économique pour influencer les politiques économiques du roi de France, la modernité a été marquée par l’aspiration à remplacer l’économie par la politique. Cette aspiration constitue l’essence même du capital, telle que décrite par Marx et ses nombreux disciples hétérodoxes.

Depuis l’ère du laissez-faire, la notion d’un gouvernement frugal s’est imposée, mais elle a ensuite évolué vers la dérégulation et la nouvelle gestion publique de l’État minimal, caractérisée par une économie dépolitisée à partir de 1989. Cette évolution a entraîné la tyrannie de la dette, la dictature du marché et le chantage exercé au nom de la “confiance des investisseurs” et des gestionnaires du capital financier international.

C’est ainsi que se forge la nouvelle “démocratie sans peuple”, qui se présente abstraitement comme démocratique, mais qui se révèle concrètement comme un plébiscite post-démocratique en faveur de marchés dépolitisés.

L’Économie au Pouvoir

Dans cette panthéon des idéaux du libéralisme, la figure de l'”État minimal” occupe une place centrale. Les partisans du cosmomercatisme prônent le slogan “moins d’État et plus de marché”. L’objectif de l’État minimal est de réguler les règles du marché et la concurrence, ainsi que de mettre en place une politique monétaire axée sur la stabilité de la monnaie et le contrôle des prix.

Il convient de rappeler qu’à partir du 2 février 2012, le Mécanisme européen de stabilité (MES) est entré en vigueur, introduisant la règle de la “conditionnalité”.

Selon cette règle, l’aide financière est accordée uniquement aux États membres de l’UE qui s’engagent à mettre en œuvre un programme de réformes et d'”ajustement macroéconomique” conforme aux orientations néolibérales. Il est important de souligner que ces orientations sont toujours en accord avec la privatisation des services publics, la réduction des salaires, la diminution des dépenses publiques et la levée de toutes les restrictions à la libre circulation des marchandises.

En d’autres termes, il s’agit ni plus ni moins du programme politique habituel de l’élite financière transnationale, en changeant simplement les termes. Le chantage à l’aide financière conditionnelle est ainsi utilisé pour activer le “marché des réformes” voulu par les élites, au détriment des intérêts des masses précarisées d’après la bourgeoisie et d’après le prolétariat.

Avec le MES, les États “bénéficiaires” perdent leur autonomie politique : ils sont contraints, sous peine de se retrouver dans la pauvreté, d’accepter des réformes imposées de l’extérieur, toujours au profit de l’oligarchie financière et au détriment des vastes masses fragilisées de la société post-bourgeoise et post-prolétarienne.

La Banque centrale européenne peut, en effet, discrétionnairement restreindre l’accès aux liquidités des systèmes bancaires des États membres qui refusent de se conformer à ses préceptes en matière de politiques budgétaires, de secteurs publics et de structuration des systèmes salariaux.

A cela s’ajoute le “Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance”, signé à Bruxelles le 2 mars 2012. Les parlements nationaux se voient retirer leurs compétences en matière budgétaire, perdant ainsi l’un des fondements des systèmes démocratiques nationaux.

De plus, avec le Mécanisme européen de stabilité (MES), le poids décisionnel des États membres de l’UE est proportionnel à leurs contributions financières et à leur puissance économique. Il en résulte clairement que l’Allemagne peut à nouveau faire valoir ses intérêts face à l’ensemble de l’Europe, sans recourir à la violence guerrière traditionnelle. Le nationalisme guerrier n’est pas vaincu, il est simplement transformé, placé sous le signe de la primauté de l’économie sur la politique.

Les énormes violences engendrées par les processus de mondialisation de l’Europe, mis en œuvre par l’Union européenne, sont communément désignées comme des “règles” dans le nouveau langage du marché mondial. L’Europe est désormais sous la tutelle d’une autorité dépourvue de toute légitimité démocratique.

La Tutelle des Marchés Financiers

Le pouvoir est entre les mains des marchés financiers spéculatifs, qui ont toute latitude pour imposer leurs besoins et leurs orientations. L’économie de marché est désormais la seule réalité concrètement souveraine, reléguant le politique à un simple paramètre dépendant de l’économie financiarisée.

Cela démontre à quel point le processus d’intégration européenne (qui serait plus précisément défini comme un projet d’intégration libérale et de révolution passive des élites financières) a pleinement atteint son objectif, à savoir l’affaiblissement des classes populaires au profit des seigneurs du capital sans frontières (également connus sous le nom de “maîtres de la finance mondiale”), et plus généralement, la réduction des espaces démocratiques.

En effet, l’Union européenne apparaît fondamentalement comme un système entièrement post-démocratique à tous les niveaux. Ce système a démantelé la possibilité pour les masses nationales-populaires d’influer sur les décisions politiques et a substitué la gouvernance démocratique par une gouvernance orientée vers le fonctionnement des marchés, dégagés des contraintes keynésiennes (fervent défenseur de l’interventionnisme étatique, Keynes s’est opposé aux thèses libérales, notamment dans son ouvrage Théorie générale) des États-nations.

Les pratiques courantes sur lesquelles repose l’Eurosystème confirment cette réalité indiscutable. Elles vont de la création d’États au contournement des parlements, aboutissant au règne de technocrates non responsables et non mandatés démocratiquement.

Ainsi, l’union monétaire devient le pivot de la “nouvelle gouvernance européenne” libérale et post-démocratique, axée sur des pratiques qui condamnent à long terme les classes dominées à “sacrifier pour l’euro”.

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