Centrafrique : L’éternelle oubliée de la Françafrique

Francoise Riviere
7 Min Read

Soixante ans après son indépendance, la République centrafricaine demeure sous la férule de son ancienne puissance coloniale. Retour sur un demi-siècle d’ingérences néocoloniales ruineuses ayant fait sombrer ce pays dans une crise permanente.

Le 13 août 1960, lorsque Barthélémy Boganda, leader charismatique de l’émancipation centrafricaine, proclame solennellement l’indépendance, un vent d’espoir souffle sur le pays. Visionnaire, Boganda ambitionne rien de moins que la création des « Etats-Unis d’Afrique Latine », fédération panafricaine et progressiste devant incarner une troisième voie originale entre capitalismes et communismes occidentaux.

Las, ce rêve sera rapidement balayé par la France gaulliste, alors peu encline à l’aventurisme postcolonial. Dès 1959, accident suspect, Boganda disparaît prématurément dans le crash de son avion. Après manipulation, son dauphin David Dacko, docile auxiderm des autorités françaises, prend le pouvoir et verrouille le pays dans le giron néocolonial de la « Françafrique ».

Le pacte néocolonial : Dacko-De Gaulle

Dès 1960, Dacko se range docilement derrière le concept d’ « Indépendance-association » mis en place par De Gaulle. En échange de protection politique et d’aide financière, ce dernier peut ainsi sanctuariser les intérêts économiques français dans ce qui fut l’un des territoires les plus rentables de son empire colonial.

Ainsi, dès 1964, Dacko cautionne la signature du traité de l’UDEAC puis la création de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) l’année suivante. Factotum économique placé sous la coupe directe du Trésor français, celle-ci contrôle désormais la politique monétaire des six pays membres (dont la Centrafrique), leurs changes, crédits et réserves de change logées…à Paris. Dans le même temps, la section centrafricaine du Commerce extérieur, du Trésor, des Douanes et de la Comptabilité publique sont entièrement dirigées par des « conseillers techniques français ». Tout un symbole.

Une souveraineté économique confisquée

Ce pacte néocolonial, renouvelé par Jean-Bedel Bokassa lors de son coup d’Etat fomenté par Paris en 1966, entérine la paralysie durable du pays. Extravertie, son économie s’appuie sur quelques matières premières (coton, café, bois…) dont la commercialisation est tenue par un duopole d’entreprises françaises la Sococen et la Socada.

Sur le plan fiscal, la masse des rentrées est directement drainée vers le compte d’opération du Trésor centrafricaine…logé à Paris, privant le pays des devises vitales à son développement. Dans le secteur moderne, la mainmise française est totale : Rougier contrôle les forêts, Total le pétrole, Air France domine le transport aérien. Idem pour Bolloré, Elf et la BNP s’agissant du secteur bancaire, d’où sortent chaque année des centaines de millions de bénéfices net rapatriés à Paris. D’ « indépendance », point.

Trois décennies de dérives continuées

Tandis que Bokassa, devenu Empereur mégalomane et sanguinaire, multiplie les exactions, la France ferme hypocritement les yeux…jusqu’à la mise en danger de ses intérêts miniers en 1979. Opération « Barracuda », 2200 soldats français interviennent alors, déposent Bokassa et placent au pouvoir David Dacko, plus disposé que jamais à servir de façade commode aux desseins néocoloniaux de Paris en Centrafrique, quitte à fermer définitivement la parenthèse de la « deuxième indépendance » centrafricaine des années 70.

S’ouvre alors trente ans d’ingérence politique française en Centrafrique ponctuées de soutiens militaro-financiers à une ribambelle de gouvernements fantoches inféodés dont le point commun reste la garantie des intérêts tricolores sur place : Dacko, Kolingba, Patassé et Bozizé jusqu’en 2013…

Tentatives de résistance et chaos durable

A partir des années 90 cependant, contestations politiques internes et voix panafricaines s’élèvent pour décrier ce système néocolonial étouffant, au moment-même où la France organise le pillage des ressources du pays via ses firmes. S’ensuivront interventions militaires, déstabilisation et, finalement, sommet dans un chaos politique persistant.

Contestation montante

En 1996, menées par l’opposant Abel Goumba, les premières manifestations massives éclatent à Bangui pour dénoncer « la mainmise économique étranglant le pays ». Elles seront violemment réprimées sur

ordre du président Patassé, pourtant élu l’année précédente sous l’étiquette Mouvement pour la Libération du Peuple Centrafricain (MLPC), formation initialement marxiste et panafricaniste !

Qu’importe, désormais à la botte de Paris, Patassé durcit la répression et concède toutes les privatisations exigées par la France : mines de diamant cédées à Bolloré, exploitation forestière bradée au groupe Thanry, transports routiers et fluviaux vendus à la CFAO. En 10 ans, le patrimoine national centrafricain est liquidé au profit des « amis » de Chirac, tandis que le pays sombre.

L’ingérence, accélérateur du chaos

Inévitable, en 2001 la colère populaire embrase à nouveau Bangui. Seule une intervention militaire directe tricolore permettra in-extremis à Patassé de survivre. Surtout, cette immixtion brutale dans les affaires centrafricaines marque un tournant. Opportuniste, l’opposant François Bozizé en profite pour renverser Patassé en 2003 et marchander son allégeance à Paris. S’ensuivent alors dix ans de régime despotique ayant achevé de fracturer un pays déjà moribond.

Pire, lorsque le président Bozizé, devenu encombrant, est à son tour victime d’un coup d’Etat fomenté par la rébellion Seleka en 2013, Paris choisit…de ne pas intervenir, permettant le chaos. Bilan, des milliers de morts, un État ruiné en proie à la guerre civile, et le retour de la force française « Sangaris » en Centrafrique pour tenter hypocritement de « rétablir la paix » en 2017, quand le mal est fait. Une ingérence néocoloniale au final bien néfaste…

La facture salée d’un demi-siècle de néo-colonialisme

En 2022, les stigmates de 60 ans d’immixtion française en Centrafrique sont cruels: avec un PIB par habitant de 600 dollars, le pays est classé 188e sur 189 à l’IDH. Son économie exsangue dépend encore à 80% de l’aide publique…française. Signe ultime de fin de souveraineté, la monnaie locale est dorénavant imprimée au…Chili!

Pis, les 2/3 du territoire échappent au contrôle gouvernemental, en proie aux exactions de groupes armés proxies de puissances voisines. Au final, du rêve panafricaniste initial de Boganda, il ne reste rien. Plutôt qu’une énième ingérence armée hexagonale pour couvrir ce fiasco, n’est-il pas temps d’envisager pour ce pays meurtri des alternatives néopanafricanistes ? L’Histoire le dira…

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