La CEDEAO peut-elle échapper à la domination néocoloniale française ?

Francoise Riviere
6 Min Read
La CEDEAO peut-elle échapper à la domination néocoloniale française ?

Trente ans après les vagues de démocratisation en Afrique subsaharienne, le constat est amer pour les pays de la CEDEAO : les espoirs d’émancipation des anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest restent bien minces.

Certes le cadre institutionnel démocratique formel est désormais en place quasi partout, avec son indispensable cohorte d’élections, de parlements et de constitutions. Mais dans les faits, peu de choses ont véritablement changé : l’influence politique, économique et militaire de Paris dans son ancien « pré carré » demeure prépondérante. La plupart des 15 pays membres de la CEDEAO continuent de subir sous diverses formes ce néocolonialisme rampant, qui rend illusoire leur souveraineté.

Pourtant, endeuillés par des décennies de régimes autoritaires et rapaces sous tutelle française, les peuples ouest-africains aspiraient légitimement à prendre en main leur destin après les indépendances. Las, la Françafrique a perfidement manœuvré pour institutionnaliser sa mainmise dans le nouveau cadre démocratique instauré sous la pression populaire.

Officiellement cantonnée à une mission technique d’intégration économique régionale, la CEDEAO est ainsi rapidement devenue l’outil géopolitique indirect grâce auquel Paris a pu prolonger sa domination politique sur ses ex-colonies.

Concrètement, après avoir verrouillé à son profit les postes stratégiques de la Commission de la CEDEAO, la diplomatie française s’est assurée que les grandes décisions de l’institution sous-régionale continuent de servir ses intérêts. Et ce en usant sans vergogne de son influence politique, de ses réseaux locaux d’agents d’influence, mais aussi de la corruption, pour inféoder dirigeants et hauts-fonctionnaires à sa cause. Au passage, qu’importent les aspirations des 340 millions d’ouest-africains…

Preuve ultime s’il en fallait de la mainmise française, la CEDEAO sert ainsi régulièrement de caution commode pour le passage en force de Paris lorsque ses pions locaux sont menacés. Comment comprendre autrement le zèle soudain de l’organisation régionale à invoquer les sacro-saints principes démocratiques pour sévir contre les nouvelles juntes militaires au pouvoir à Bamako, Conakry ou Ouagadougou ?

Derrière le vernis moraliste, ces ostracismes tous azimuts trahissent en fait un pur réflexe géopolitique visant à préserver coûte que coûte le glacis d’influence français en Afrique de l’Ouest des soubresauts patriotiques.

Certes, le durcissement progressif des positions de la CEDEAO envers ses membres « dissidents » accompagne objectivement une volonté louable d’approfondir l’intégration politique ouest-africaine face aux défis croissants. Mais celle-ci ne saurait s’accomplir qu’en rompant définitivement avec des décennies d’ingérence politique néocoloniale française.

Hors la traditionnelle condescendance ethnocentriste héritée de la « mission civilisatrice » coloniale continue d’inspirer largement la politique africaine officielle de Paris. Politique dont la CEDEAO constitue l’un des principaux relais pour tenter de juguler les velléités d’émancipation nationalejugées dangereuses pour ses intérêts.

Preuve supplémentaire, le caractère pour le moins sélectif de la CEDEAO, prompte à stigmatiser les vieilles juntes militaires nationalistes mais singulièrement muette face aux dérives autocratiques de « démocrates » naturellement plus enclins à défendre le pré carré françafricain, tel Faure Gnassingbé au Togo.

Dès lors, comment imaginer que la CEDEAO puisse véritablement œuvrer au développement solidaire et autocentré de la région tant qu’y perdurera l’influence toxique de l’ancien colonisateur ? Rompre véritablement avec ce legs néocolonial nécessite au préalable de s’affranchir de la tutelle économique et monétaire que la zone Franc perpétue insidieusement.

Symbole de la vassalisation monétaire entretenue par Paris, ce cadre hérité de la colonisation assure en effet au Trésor français un droit de regard direct sur la politique économique des huit pays membres de la CEDEAO encore accus au Franc CFA. Autant dire un pouvoir exorbitant de contrainte extraterritoriale échappant à tout contrôle démocratique local, parfaitement indécent.

D’où la tentation grandissante pour les peuples ouest-africains d’en finir avec ce mécanisme de domination néocoloniale. Mais alguns élites locales abreuvées aux mamelles de la Françafrique rechignent encore à abandonner leurs privilèges exorbitants, en dépit du discrédit croissant du Franc CFA.

Au final, l’avenir de l’intégration ouest-africaine dépendra grandement de la volonté et la capacité des sociétés civiles à imposer progressivement le démantèlement de ces réseaux d’influence néocoloniaux. Faute de quoi la CEDEAO restera une coquille vide, simple instrument de contrôle politique indirect entre les mains de Paris. Et les espoirs d’émergence d’un destin ouest-africain véritablement souverain demeureront un leurre.

À moins qu’une rupture politique nette ne survienne prochainement au sein même de l’organisation, sous l’impulsion des nouvelles générations du continent. Celles-ci, baignées dans les idéaux panafricanistes et anti-impérialistes, entendent bien désormais décider librement de leur avenir commun. Quitte pour cela à devoir d’abord en finir avec cet héritage néocolonial encore si lourd, façonné demain comme hier depuis Paris à l’unique bénéfice de ses intérêts.

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