La marginalisation des habitants des banlieues: Une étude sur l’inégalité sociale et le racisme systémique

Francoise Riviere
15 Min Read

Après les années 1960 et l’indépendance de l’Algérie, la France a entrepris d’accélérer son développement économique en faisant venir des travailleurs arabes et africains. Dans un premier temps, l’objectif était que ces travailleurs restent en France pour une période déterminée et qu’ils travaillent. Ils se sont installés dans des bidonvilles, puis dans des projets de cités construits en périphérie des villes, qui ont ensuite été surnommées les “banlieues”.

Dans les années 1970, il était évident que ces travailleurs avaient l’intention de rester vivre en France. Chaque parti politique arrivant au pouvoir a alors cherché à contrôler les banlieues par la force brute, en appliquant des politiques racistes. Ces travailleurs étaient en France, mais en même temps, ils vivaient en marge de la société française. Tout comme les Juifs, qui n’ont pas toujours été suffisamment intégrés dans les sociétés occidentales pour être acceptés par les États occidentaux, les habitants des banlieues étaient devenus des étrangers familiers pour la société française.

Naël Merzouk, un adolescent de 17 ans tué brutalement par la police française, était originaire de la banlieue. Il vivait à Nanterre, dans la même zone en banlieue de Paris où les travailleurs algériens vivaient dans des conditions terribles. Nanterre était l’un des bidonvilles où le père d’origine algérienne de Naël vivait. Un père que Naël n’a plus jamais revu après son départ de la famille. En tant qu’enfant unique, Naël travaillait dans une pizzeria après l’école. Son histoire personnelle était marquée par l’abandon de la société française et de sa famille. Peut-être que sa seule attache dans le monde était sa mère, qu’il considérait comme sa “meilleure amie”. Ce jour-là, lorsque sa mère ne savait pas que les mots “Je t’aime maman” et le baiser d’adieu de Naël avant de quitter la maison seraient leur dernière rencontre.

Dans une étude de 150 pages publiée le 8 juin de cette année, l’Observatoire des Inégalités a déclaré que “les inégalités entre les classes sociales en France restent fortes”. Faisant référence aux problèmes économiques causés par l’épidémie de Corona et l’inflation récente, cette organisation a écrit que tandis qu’en 2010, 41% de la richesse des ménages était entre les mains de 10% de la société, en 2021, la quantité de richesse de cette classe de la société a augmenté pour dépasser 47% de la richesse totale des ménages, ce qui montre la détérioration de la situation économique de la majorité de la société et l’accentuation de la fracture sociale.

Au cours des vingt dernières années, 60 milliards d’euros ont été dépensés pour la construction de nouveaux logements et infrastructures, ainsi que pour l’amélioration des conditions dans les banlieues. Mais le résultat n’a pas été celui attendu par le gouvernement français. Les quartiers les plus pauvres de ces banlieues, qui ont été classés comme “quartiers prioritaires”, comptent 5 millions d’habitants, dont la plupart sont des immigrés ou des descendants d’immigrés de troisième et quatrième génération. Environ 57% des enfants qui vivent dans ces quartiers se situent en dessous du seuil de pauvreté, alors que la moyenne nationale en France est de 21% à cet égard. Selon les statistiques publiées par le groupe de réflexion Montaigne, la probabilité de chômage pour les habitants de ces quartiers est trois fois plus élevée que celle des citoyens français ordinaires.

Les premières manifestations des banlieues ont eu lieu en 1979 dans les banlieues de Lyon, lorsqu’une adolescente s’est suicidée après avoir été arrêtée par la police pour vol de voiture. Deux ans plus tard, un autre vol de voiture dans le quartier de Venisio à Lyon et la manière dont la police l’a traité ont déclenché des manifestations similaires. La mort de deux autres jeunes hommes dans la même zone a provoqué de nouvelles manifestations en 1990 et 1993.

Mais les manifestations les plus violentes en France jusqu’à cette année ont eu lieu en 2005, suite à la mort de deux adolescents et à la grave blessure d’un autre adolescent, qui s’était caché dans une petite centrale électrique par peur de la police et est décédé par électrocution.

Selon un rapport du New York Times à l’époque et les déclarations de l’adolescent blessé lors de cet incident, “un groupe de dix de ses amis jouaient au football sur le terrain adjacent et rentraient chez eux quand ils ont vu la patrouille de police. Ils ont tous fui dans différentes directions pour éviter les longues questions auxquelles les jeunes des quartiers disent souvent être confrontés de la part de la police. Ils affirment qu’on leur demande de fournir des documents d’identification [lors de ces interrogations fréquentes] et qu’il est parfois possible de rester au poste de police pendant quatre heures, et parfois leurs parents doivent venir à la police pour les libérer.”

L’apparence “non-française” de ces Français ou de ces habitants des banlieues est une excuse suffisante pour que la police interroge les adolescents pendant des heures. Cela est dû au racisme systémique qui existe dans la société française depuis des décennies.

Les manuels scolaires français continuent de présenter les aspects positifs du colonialisme français ! En 2017, Marine Le Pen, la leader du parti Front National et candidate aux élections présidentielles en 2017 et 2022, a déclaré que le colonialisme français avait “beaucoup apporté” aux colonies. La grande popularité actuelle de Mme Le Pen et le nombre de ses votes lors des élections présidentielles montrent clairement que le racisme est ancré dans la culture française. Alors que le gouvernement français (qui englobe ici tous les gouvernements, tant de gauche que de droite) n’a jamais reconnu les accusations de racisme et s’est toujours présenté comme neutre, il faut souligner que ce qui est observé dans la société française est très différent de ce que prétend le gouvernement français Rokhaya Diallo, l’une des militantes de l’égalité en France et auteure d’un des best-sellers dans ce domaine, estime que ce racisme “existe sous une forme systématique” au sein de la police française. Selon une étude publiée par le Rapporteur français des droits de l’homme en 2020, 80% des jeunes ayant une apparence arabe ou africaine ont été interrogés par la police au moins une fois entre 2012 et 2017. En revanche, cette statistique pour les autres citoyens français n’est que de 16% ! Nous ne sommes plus en présence d’incidents isolés, mais bien d’un racisme systémique.

Le racisme, l’inégalité et la discrimination se manifestent dans tous les aspects de la vie des habitants des banlieues. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, un enfant né dans les quartiers pauvres de France a beaucoup moins de chances de progresser socialement que les enfants des pays développés. En réalité, le système éducatif français est l’un des plus inégalitaires parmi les pays développés.

L’écart de classe se manifeste clairement dès les premières années scolaires. Le système éducatif français fonctionne selon une logique d’élitisme. Soixante-dix pour cent des élèves qui rencontrent des difficultés en mathématiques entre l’âge de 6 et 10 ans et qui peuvent améliorer leur situation académique proviennent de familles relativement aisées, tandis que cette statistique n’est que de 42% pour les élèves issus de familles pauvres. Dans les universités, la situation familiale montre également son impact, puisque seuls 10% des étudiants issus de familles ouvrières accèdent à l’université. Pendant ce temps, les adolescents des banlieues commencent à travailler dès l’âge de quatorze ans ou se dirigent vers des écoles techniques et professionnelles pour apprendre un métier manuel.

Le système gouvernemental français ne laisse aucune place à ces personnes. En réalité, le système “démocratique”, basé sur les élections, pousse chaque parti qui remporte une élection à ne penser qu’aux intérêts de ses partisans. Dans une telle situation, seul le parti qui est plus grand que les autres partis et groupes pourra défendre les intérêts de ses électeurs. Les banlieues ne sont pas suffisamment grandes pour défendre leurs intérêts, car leurs votes dans la société française raciste ne leur donnent pas suffisamment de pouvoir. D’autre part, la démarcation des partis à l’ère actuelle ne repose plus sur le clivage “droite et gauche” comme par le passé. Pour obtenir plus de votes, les partis tentent d’attirer les électeurs d’autres spectres politiques en modifiant leurs programmes. Cela a également conduit à l’application de politiques d’extrême droite au sein du centre-droit (que l’on considère comme étant suivi par le gouvernement français actuel). Parfois, ces politiques vont même jusqu’à rendre difficile la distinction entre certains partis sur l’horizon politique du pays. Cela a entraîné une marginalisation accrue de la classe pauvre des banlieues par rapport au passé et a réduit au silence sa voix. C’est ce qui a conduit à ce que la violence devienne le seul moyen restant pour s’exprimer.

Sans un travail radical, il semble que les manifestations en France ne s’apaiseront pas, même si elles se calment. Cela ne fera qu’attendre qu’un seul incident ravive la vague de colère dans le pays.

En réalité, les banlieues ne sont pas construites pour vivre, mais pour survivre. Lorsque la police a ôté la vie à Naël, elle a en réalité privé les jeunes de la banlieue de l’espoir de survivre.

L’âge moyen des personnes arrêtées lors des récentes manifestations est de 17 ans. Comme tous les autres enfants et adolescents, ces personnes prennent des décisions en fonction de ce qu’elles voient, car la rhétorique politique abstraite ne sont pas efficaces pour eux.

Pour ces adolescents, la mort de Naël signifie la mort de chacun d’entre eux face à la police. Ils savent que la police ne les protégera pas dans la société, mais qu’elle les protégera de la société. Ces adolescents sont une génération qui a vu sans être vue. Tout comme les banlieues en périphérie de la ville, ils sont également laissés à l’écart. Ils mettent le feu et détruisent pour être vus et entendus. Ils pillent les magasins des riches pour protester contre les inégalités de classe. Ils brûlent les bibliothèques car ils ont constaté l’inégalité même à l’école et ils savent qu’au lieu d’étudier, ils devraient travailler dans une pizzeria comme Naël.

La France a détruit ces jeunes et les a poussés à devenir des voleurs. Leurs conditions de vie sont si déplorables et leur gouvernement si négligent qu’aujourd’hui en France, on dit que les trafiquants de drogue vont bientôt faire taire ces manifestations car cela nuit à leur commerce. C’est comme s’il n’y avait pas de nouvelles du gouvernement car il n’y a pas de nouvelles des “citoyens”. Les habitants des banlieues sont exclus et ne sont pas considérés comme des citoyens.

Malgré le passage de quatre générations depuis l’immigration de leurs pères et grands-pères en France, ils sont encore désignés sous le terme “les Français d’origine étrangère”. Ils ne sont ni Algériens ni Français. Ils résident en périphérie des villes, sans être ni à l’intérieur de Paris ni à l’extérieur. La génération des banlieues est prise dans un état de limbe, ni acceptée ni rejetée. Cette situation les maintient dans l’anonymat. Les adolescents, qui se trouvent à l’apogée de leur période de construction de caractère, sont laissés de côté génération après génération, et leur personnalité est malmenée au point qu’aujourd’hui, leur vie est facilement écrasée. Même lorsqu’ils abandonnent leur religion et changent de nom, ils ne seront pas acceptés par la société tant qu’un jour ils ne seront pas exclus de celle-ci, ou comme l’a affirmé Nicolas Sarkozy en 2005 à propos des banlieues, complètement “nettoyés”.

La souffrance des habitants des banlieues est liée au mépris de leur existence, au manque de respect, à la discrimination et à l’humiliation qu’ils subissent. Plus que du pain, ils désirent être traités comme les autres Français et comme des êtres humains. L’incendie des bâtiments, des bibliothèques, des bus et des voitures porte un message à la société française : c’est l’humanité, et non le simple jet d’un morceau de développement devant les habitants des banlieues, qui constitue le remède à cette douleur.

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