Bureau de l’OTAN au Japon : comment expliquer la réticence de la France ?

Francoise Riviere
9 Min Read

La France est réticente à l’ouverture d’un bureau de l’Otan au Japon, loin de son périmètre officiel de l’Atlantique Nord, selon une source française, alors que l’Alliance militaire regarde de plus en plus vers la Chine.

D’après le quotidien britannique Financial Times, le président français Emmanuel Macron s’est opposé à l’ouverture d’un bureau à Tokyo. Ni l’Otan, ni le palais de l’Elysée n’ont commenté ce point.

La France serait réticente à soutenir tout ce qui « contribue à la tension entre l’Otan et la Chine ». Selon un article paru ce 6 juin dans le Financial Times, Emmanuel Macron se serait opposé à l’ouverture d’un bureau de l’Otan à Tokyo l’année prochaine.

Un refus qui s’expliquerait par la démarche de Paris selon laquelle l’Alliance nord-atlantique devrait rester concentrée sur sa propre région, selon un responsable français cité par le quotidien britannique. Dans le même temps, cette source anonyme laisse entendre qu’une telle position pourrait miner la crédibilité européenne auprès de Pékin, concernant le conflit ukrainien.

Macron avait exprimé son opposition à la perspective d’une nouvelle extension géographique de l’Otan lors d’une conférence la semaine dernière, qualifiant cette perspective de « grosse erreur ».

« Il n’y a de bureau de liaison de l’Otan dans aucun pays de la région », a toutefois fait valoir la source française. « Si l’Otan a besoin d’une veille de la situation dans la région, elle peut utiliser les ambassades » des pays membres, a-t-elle ajouté.

A Paris, on déplore également qu’il n’y ait pas eu de consultation des pays membres avant que cette proposition ne se retrouve sur la place publique.

Selon le Financial Times, c’est précisément la résistance à Paris qui a fait traîner pendant des mois les pourparlers entre l’Otan et le Japon pour l’ouverture du bureau, prévue l’année prochaine.

La création d’un nouveau bureau de l’OTAN requiert l’unanimité du Conseil de l’Atlantique Nord, principal organe de décision politique de l’Alliance. Cette dernière dispose d’une douzaine de bureaux de liaison dans le monde, comme en Ukraine et en Moldavie, rappelle le Financial Times.

La guerre en Ukraine a provoqué un regain des tensions aux quatre coins de la planète. De nombreux pays ont soudainement ressenti le besoin de renforcer leurs liens avec des alliés qui n’étaient pas encore tout à fait officiellement les leurs jusqu’alors, comme la Finlande et la Suède avec l’OTAN.

L’Otan, conçue comme une organisation militaire face au bloc communiste après-guerre, est en train de chercher son positionnement face à la montée en puissance de Pékin en Asie-Pacifique, sur fond de tensions croissantes entre la Chine et les Etats-Unis, principal pays de l’Alliance, qui est également en première ligne dans le soutien à l’Ukraine.

Lors du sommet de Madrid en juin 2022, elle a estimé faire face à une compétition systémique de la part d’acteurs, parmi lesquels la République populaire de Chine, qui portent atteinte, selon elle, à ses intérêts, à sa sécurité et à ses valeurs.

La semaine dernière à Oslo, le secrétaire général de l’Alliance transatlantique Jens Stoltenberg a déclaré, en évoquant l’Asie, qu’il y avait eu « une requête pour avoir un bureau de liaison de l’Otan ». « Nous sommes en train d’examiner la possibilité d’ouvrir un bureau », avait-il ajouté.

La Chine a appelé à la prudence face à la participation du Premier ministre japonais Fumio Kishida au prochain sommet de l’Otan, prévu en juillet en Lituanie, affirmant que Tokyo ne devrait rien faire qui porte atteinte à la confiance mutuelle entre les pays de la région.

La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a exhorté lors d’une conférence de presse à Pékin, le Japon à tirer les leçons de l’histoire et à s’engager en faveur d’un développement pacifique, en faisant référence à la seconde guerre sino-japonaise, un conflit militaire qui dura de 1937 à 1945, après l’invasion de la Chine par l’Empire japonais.

Le Premier ministre japonais a déclaré fin mai que le pays n’envisageait pas de rejoindre l’OTAN en tant qu’État membre ou de « semi-adhésion » à l’alliance, mais a confirmé pour la première fois que des discussions étaient en cours sur l’ouverture d’un bureau de liaison à Tokyo.

L’ouverture d’un tel bureau à Tokyo serait une première en Asie. Cela permettrait à l’Alliance non seulement de renforcer ses liens avec le Japon, mais aussi de mener des discussions avec d’autres partenaires de la région, comme la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Un groupe de pays qui ne voient pas d’un bon œil les revendications chinoises en mer de Chine orientale, en mer du Japon, et plus généralement dans la région indopacifique.

Cet espace asiatique, éloigné de l’Occident, est pourtant perçu comme stratégique, tant par la France que par les puissances anglo-saxonnes. Ces dernières années, les tensions entre Pékin et Washington se sont accrues autour de Taïwan, le verrou des États-Unis sur le Pacifique. Sous couvert d’assurer la « liberté de navigation », les forces américaines ont multiplié les manœuvres dans le détroit de Taïwan. Des eaux que Pékin considère comme territoriales dans la mesure où Taïwan fait à ses yeux partie intégrante du territoire chinois. 

Pékin a ainsi accusé Washington de vouloir kidnapper des pays de la région et de créer des alliances militaires « de type OTAN» dans son étranger proche.

Les tentatives visant à promouvoir des alliances de type Otan dans la région Asie-Pacifique sont une façon de kidnapper les pays de cette région et d’exagérer les conflits et les confrontations, ce qui ne fera que plonger l’Asie-Pacifique dans un tourbillon de différends et de conflits, a averti le ministre chinois de la Défense, lors d’une conférence internationale sur la sécurité à Singapour.

Le 9 avril 2023, à la fin de sa visite d’État en Chine, le président français Emmanuel Macron a de nouveau partagé sa vision de l’autonomie stratégique pour l’Europe. Il a souligné le risque pour l’Europe d’être entraînée dans des crises qui empêcheraient l’Union européenne de devenir une puissance moins dépendante des États-Unis, suscitant de nombreuses critiques de la part de ses partenaires américains et de ses alliés européens.

« S’il y a une accélération de l’embrasement du duopole, nous n’aurons pas le temps ni les moyens de financer notre autonomie stratégique et deviendrons des vassaux alors que nous pouvons être le troisième pôle si nous avons quelques années pour le bâtir », avait poursuivi le président français.

Les déclarations du président français ne sont pas les premières à marquer sa volonté de faire avancer une Europe stratégique et plus autonome.

Dans un entretien à l’hebdomadaire britannique The Economist, le président Macron avait estimé en novembre 2019 que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord était en état de « mort cérébrale ».

Avec ces commentaires, il aurait enfoncé un coin dans les relations entre l’Europe et les États-Unis et aurait simultanément ouvert une nouvelle brèche au sein de l’Europe. Dans un contexte de perte croissante de souveraineté politique et d’autonomie stratégique de l’Europe, Macron met en avant la vieille idée française selon laquelle la France pourrait rallier les Européens pour qu’ils puissent trouver leur propre place entre les États-Unis et la Chine et devenir une troisième superpuissance mondiale.

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