L’acceptation sociale, une notion polysémique pour comprendre la réforme des retraites

Francoise Riviere
7 Min Read

La réforme des retraites a été adoptée mais elle ne fait pas l’unanimité dans l’opinion publique, comme le témoignent les grèves, les manifestations, les sondages et les controverses. Les éditorialistes expliquent souvent cela par l’expression “acceptation sociale”. Les députés, comme ceux du parti Républicain, se préoccupent de “l’acceptabilité sociale de la réforme dans leur circonscription” juste avant le vote de la motion de censure contre le projet de loi sur les retraites. Le président a finalement reconnu que la réforme des retraites n’avait pas été acceptée par les Français.

Après les mouvements contre les grands projets inutiles et imposés, le mouvement des Gilets jaunes, la colère contre les limitations de vitesse à 80 km/h et la controverse sur les bassins de rétention d’eau géants, cette utilisation croissante, élargie et étendue à de nouvelles arènes publiques, rend la formule inévitable.

L’acceptation sociale est un jugement collectif qui se manifeste en dehors du cadre institutionnel formel ou de l’espace législatif. Ce concept remplace d’autres notions telles que l’adhésion, l’assentiment, le consentement ou la réception. Dans le langage courant, l’usage de cette expression reste souvent rhétorique, au mieux descriptif, et n’apporte pas de compréhension significative à l’intervention publique, qu’elle soit réussie ou non. Est-il possible de dépasser l’ambivalence de ce lexique et d’utiliser les termes d’acceptation et d’acceptabilité sociales pour mieux comprendre la réception de l’intervention publique ?

Cette question est pertinente car ce lexique fait partie du vocabulaire des sciences sociales. Un ouvrage que je viens de coordonner vient d’être publié pour présenter les usages de ce concept et discuter de son utilité. Il aborde cette question à partir de différents terrains d’études tels que les espaces naturels protégés, la transition énergétique, la taxe carbone, l’expression religieuse au travail ou encore les véhicules à hydrogène, et mobilise différentes disciplines comme la sociologie, la géographie, la psychologie, la science politique, le management et l’économie. Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette étude.

Le débat concernant l’utilisation préférentielle des termes « acceptabilité » ou « acceptation sociale » est encore loin d’être résolu. Selon leur usage le plus courant, l’acceptabilité sociale renvoie à une perception antérieure à la mise en œuvre de l’action publique, tandis que l’acceptation sociale concerne une perception a posteriori et un état de fait. Cependant, l’acceptation n’est pas une notion figée : elle peut être construite par des stratégies ou des techniques variées telles que la participation libre, l’enrôlement ou l’expérimentation, ce qui entraîne son évolution. Il est donc vain de chercher le terme exact, d’autant plus que l’acceptation et l’acceptabilité sociales sont difficiles à appréhender sans ancrage disciplinaire. Une opposition claire est observée entre les géographes, qui utilisent le terme « acceptation », et les sociologues, qui privilégient celui d’« acceptabilité » .

Les sciences politiques et économiques ont tendance à éviter ces concepts, qu’elles considèrent avec méfiance. Seules la gestion et la psychologie sociale ont dépassé ce débat et privilégient la recherche des bons outils de mesure et des indicateurs pertinents. Dans le cas de la réforme des retraites, le manque d’acceptation sociale est déduit des formes et de l’intensité des mobilisations, mais également des sondages d’opinion publique effectués tout au long du mouvement social.

Cependant, ces instruments de mesure restent très sommaires, alors que des protocoles d’enquête plus sophistiqués existent et pourraient être utilisés, tels que les groupes de discussion, le suivi de cohortes, les expérimentations, etc. L’acceptation sociale est alors évaluée au moyen d’indicateurs tels que la confiance, les bénéfices attendus, la légitimité des promoteurs, la crédibilité des informations, le respect du cadre légal, etc. Cette variété d’indicateurs permet d’éviter la dualité simpliste opposant les « pour » et les « contre », l’« adhésion » et la « contestation », et de saisir les degrés d’acceptation, les profils et les comportements des acteurs impliqués.

Au-delà de la mesure, l’acceptation peut devenir un objectif à atteindre pour les promoteurs d’un projet, comme les décideurs politiques et l’administration chargée de sa mise en œuvre. Dans ce cas, l’acceptation devient un horizon plutôt qu’un élément d’évaluation du succès ou de l’échec d’une politique publique. Ainsi, que ce soit conçu comme un processus ou comme un résultat, la volonté de saisir l’acceptation sociale acquiert une visée instrumentale.

Bien que la notion ait le mérite d’intégrer le conflit comme une évidence dans l’intervention publique, cette approche à travers les controverses peut masquer une approche managériale. Les promoteurs d’une innovation cherchent alors à réduire les oppositions et à accroître leurs soutiens. Cette ingénierie du consentement peut cacher une volonté technocratique de faire accepter un programme rejeté, et peut heurter l’idéal démocratique en manipulant les stratégies de communication ou de lobbying pour accroître l’acceptation.

L’acceptation sociale ne peut être réduite à celle du grand public ou des citoyens. L’acceptation des élus ou des agents est tout aussi importante pour comprendre le succès ou l’échec d’un programme. La contestation contre la réduction de la vitesse à 80 km/h met réellement en difficulté la décision du gouvernement lorsque les élus locaux et les sénateurs s’en saisissent.

Cette attention particulière envers ceux qui élaborent les politiques publiques et mobilisent leurs ressources pour l’acceptation est d’autant plus essentielle qu’elle doit être considérée en premier lieu comme leur propre problème, plutôt que celui des destinataires. Cette épreuve à surmonter les amène à prendre au sérieux le travail de conviction ou d’enrôlement auquel se livrent les décideurs politiques, ou inversement, les stratégies d’évitement du débat que les élites gouvernantes préfèrent souvent à un travail de conviction risqué et incertain.

Les outils législatifs et de communication mobilisés, tels que les argumentaires fluctuants du gouvernement pour justifier le report de l’âge de la retraite, témoignent des stratégies successives d’acceptabilité tentées : s’agit-il de sauver le système de retraite, de réduire les inégalités, de maîtriser le déficit public, d’éviter la “bordélisation”, etc. ?

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