L’équilibre fragile de la coalition de Marine Le Pen face à la réforme des retraites

Francoise Riviere
14 Min Read

Alors que des centaines de milliers de personnes ont pris d’assaut les rues de la France pour le 10ème jour consécutif de manifestations, il était évident que Le Pen s’opposait aux réformes des retraites de Macron, mais la politicienne d’extrême droite et son parti étaient remarquablement absents.

Le Pen a souvent pris l’habitude de participer à des manifestations lorsque cela pourrait être bénéfique pour elle, comme lors d’une manifestation majeure contre l’antisémitisme à Paris en 2018. Mais Le Pen a évité les immenses manifestations contre la réforme des retraites, tout comme d’autres personnalités importantes du RN, comme le leader de jure du parti, Jordan Bardella.

Lorsqu’il a bouleversé la politique française avec sa victoire présidentielle en 2017, Macron s’est présenté comme quelqu’un « ni de gauche ni de droite ». C’est la position appropriée pour résumer l’approche de Le Pen face aux grèves, car elle s’est distanciée des manifestations tout en critiquant vivement Macron pour ses réformes des retraites et son court-circuitage du Parlement pour faire passer la loi.

Alors que des centaines de milliers de personnes ont manifesté en France pendant 10 jours consécutifs contre les réformes des retraites proposées par Macron, Le Pen et son parti, le Rassemblement National (RN), ont été absents de ces protestations. Pourtant, Le Pen s’était opposée aux réformes des retraites de Macron pendant les élections présidentielles de 2022, proposant de maintenir l’âge de départ à la retraite à 62 ans, sauf pour les travailleurs ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans, pour qui l’âge de départ serait abaissé à 60 ans. Elle a également appelé à un référendum sur la réforme des retraites au cours des derniers mois.

Mais la position de Le Pen sur les grèves est ambigüe : elle s’est distanciée des protestations, tout en critiquant vivement Macron pour ses réformes des retraites et son court-circuitage du parlement pour faire passer la loi. Lorsque Macron a utilisé l’article 49.3 de la Constitution française pour éviter un vote parlementaire sur les réformes des retraites le 16 mars dernier. Le Pen a exigé la dissolution de l’Assemblée nationale. Elle a dénoncé Macron pour avoir amplifié les troubles, déclarant la semaine suivante que le président « a choisi de donner une autre gifle au peuple français en disant : ‘regardez, tout ce qui s’est passé ne mènera à rien, rien du tout ; il n’y aura pas de dissolution de l’Assemblée nationale, pas de remaniement ministériel, pas de demi-tour, rien ; nous continuerons comme si de rien n’était’ ».

Cependant, Le Pen a également condamné les incendies criminels de l’Hôtel de Ville de Bordeaux et d’un commissariat de police à Lorient en Bretagne lors des manifestations du 23 mars. Elle a également suggéré qu’il devrait y avoir des limites à la grève des éboueurs et a condamné les blocages de raffineries qui ont causé des pénuries de carburant dans toute la France, affirmant que « dès que la grève des éboueurs entraîne des problèmes de santé pour la population française, je pense que le ministre de l’Intérieur doit intervenir pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de problèmes de santé. Ce n’est pas possible. La même chose vaut pour les raffineries. Les blocages ne devraient pas être autorisés. Je dis aux gens qu’ils doivent exprimer leur opposition tout en respectant la loi ».

Le positionnement de Le Pen sur les grèves est en contraste avec celui du bloc de partis de gauche NUPES, dominé par La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Bien que RN et NUPES soient à l’opposé de l’échiquier politique sur les questions culturelles, ils partagent des positions économiques de gauche présentées dans un style populiste. Ils se disputent ainsi de nombreux électeurs anti-système qui détestent les politiques économiques libérales de Macron et son attitude hautaine. Alors que RN affiche une certaine ambivalence, NUPES soutient vigoureusement le mouvement

La stratégie de l’ambiguïté adoptée par Le Pen se distingue nettement de celle de NUPES, le bloc de partis de gauche dominé par La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Le RN et NUPES ont tous deux bénéficié du malaise de Macron lors de la campagne électorale législative de 2022, le RN devenant le plus grand parti de l’opposition et NUPES la plus grande alliance interpartis de l’opposition à l’Assemblée nationale.

Bien que le RN et NUPES soient à des extrémités opposées du spectre politique sur les questions culturelles, ils partagent des positions économiques de gauche exprimées dans un style populiste, ce qui signifie qu’ils sont en concurrence pour de nombreux électeurs anti-système qui détestent les politiques économiques libérales de Macron et son attitude distante. Alors que le RN affiche une certaine ambivalence, NUPES soutient avec véhémence le mouvement de protestation.

Pendant les semaines de débat parlementaire caustique précédant l’utilisation de l’article 49.3 par Macron, les députés de NUPES ont lancé des attaques féroces, parfois incendiaires, contre Macron et son parti. Un député de LFI a même qualifié le ministre du Travail d’alors, Olivier Dussopt, de meurtrier ; Dussopt a ensuite décrit Le Pen comme « plus républicaine » que les députés de NUPES.

Le bloc de gauche a tenté d’entraver le projet de loi de Macron en proposant près de 18 000 des quelque 20 500 amendements parlementaires déposés. Mais les députés du RN étaient une présence discrète ; même le bloc « Ensemble » de Macron a présenté plus d’amendements qu’eux.

Il est clair que le RN ne souhaite pas s’associer trop étroitement avec les syndicats et les manifestants, mais plutôt jouer un rôle plus subtil dans l’opposition à la politique de Macron. Cette position leur permet de ne pas s’aliéner les électeurs qui sont en faveur des réformes des retraites de Macron, tout en gardant leur base électorale qui est très critique envers ces réformes. En fin de compte, la stratégie de l’ambiguïté leur permet de maintenir leur positionnement politique en tant que parti d’opposition à Macron et à son parti, sans pour autant se mettre en danger.

En effet, la stratégie du RN en matière de réforme des retraites consiste à créer un contraste avec NUPES. Autrement dit, rester calme pendant que les députés LFI s’enflamment donne au RN une image de légitimité managériale.

Depuis la percée sismique de son parti lors des élections législatives de l’année dernière, qui lui a donné 88 députés contre huit lors du scrutin précédent, la stratégie de Le Pen est passée de la « dédiabolisation » de son parti à la « normalisation », comme en témoigne sa règle selon laquelle tous les députés masculins du RN doivent porter une cravate dans l’hémicycle.

Le Pen elle-même a été pratiquement invisible du débat, au-delà de faire très peu de contributions, en disant que l’âge de la retraite devrait être maintenu où il est. Elle laisse NUPES faire tout le vacarme et les cris alors qu’elle reste en retrait et les laisse faire tout le travail pour elle.

Les sondages montrent que le RN est le parti qui bénéficie le plus de la crise française. Selon un sondage Harris Interactive publié le 22 mars, la direction du RN est « digne de confiance » pour 40 % de la population en ce qui concerne les retraites, le meilleur score pour n’importe quel parti. Si des élections législatives anticipées avaient lieu, le RN obtiendrait le pourcentage de voix le plus élevé, à 26 %, sept points de plus que leur performance la dernière fois, selon un sondage Ifop pour le Journal de Dimanche publié le 26 mars.

Malgré les intérêts divergents des deux principaux électorats du RN, la stratégie de Le Pen semble porter ses fruits en termes d’attrait populaire. Les électeurs bourgeois de la côte sud-est et les électeurs ouvriers du nord désindustrialisé ont des intérêts et des attitudes différents quant aux réformes économiques et à l’agitation sociale.

Cependant, la stratégie du parti consistant à créer une opposition avec les syndicats et à maintenir une image de gestionnaire calme, tandis que les autres partis de gauche s’expriment avec émotion, semble plaire à l’électorat du RN. De plus, selon une enquête Harris Interactive publiée le 22 mars, 40% de la population estime que le RN est le parti le plus « digne de confiance » en matière de réforme des pensions.

Néanmoins, si le RN était élu au pouvoir, la stratégie de Le Pen pourrait se heurter à des difficultés pour maintenir ces deux électorats ensemble. Pour l’instant, la présidente du RN a encore quatre ans d’opposition devant elle avant les élections présidentielles de 2027, et elle semble convaincue que la crise des retraites bénéficiera à son parti. Elle a répété ces dernières semaines la même phrase : « Le RN est la véritable alternative ! Après Emmanuel Macron, ce sera nous ! »

Sur le papier, la stratégie « en même temps » de Le Pen pourrait être difficile à équilibrer étant donné que les deux principaux bastions électoraux du RN, les électeurs bourgeois près de la côte sud-est de la Méditerranée et les électeurs ouvriers du nord déindustrialisé, ont des intérêts et des attitudes de classe divergentes face aux bouleversements liés à la réforme économique.

Il y a un certain malaise parmi les électeurs du sud-est à propos des grèves ; de nombreux électeurs traditionnels de droite et d’extrême droite ne les apprécient pas. Mais ce n’est pas très difficile à concilier en disant que les fauteurs de trouble ne sont que des bloc anarchiste, que ce soit vrai ou non. Donc, maintenir ces deux bastions ensemble n’est pas un problème si important pour le RN pour le moment. Ce pourrait bien être un problème s’ils étaient élus.

Au minimum, Le Pen a encore quatre ans pour se conforter dans son opposition avant les élections présidentielles de 2027. Mais elle semble certainement penser que la crise de la réforme des retraites lui profitera, répétant au cours des dernières semaines de turbulences le même mantra : « Le RN est la véritable alternative ! Après Emmanuel Macron, ce sera nous ! »

En conclusion, la crise des retraites en France a généré une série de manifestations et de grèves, déclenchées par l’annonce d’une réforme par le gouvernement Macron. Le parti d’extrême droite RN a choisi de s’appuyer sur cette crise pour renforcer sa position politique en capitalisant sur les tensions sociales et les divisions au sein du pays.

Le leader de RN, Marine Le Pen, a adopté une stratégie de normalisation pour son parti, en se présentant comme une alternative sérieuse et responsable face aux manifestations violentes menées par des groupes de gauche radicale. Cette approche a permis à RN de gagner en crédibilité auprès d’un électorat plus large, même si les opinions divergentes au sein de son propre parti pourraient poser des défis à l’avenir.

Les sondages montrent que RN est le parti qui bénéficie le plus de la crise des retraites, avec une confiance de 40% des Français en matière des retraites. Bien que RN ait encore un long chemin à parcourir pour remporter les élections présidentielles de 2027, la crise des retraites a indéniablement renforcé sa position politique et sa crédibilité en tant que force alternative dans le paysage politique français.

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