Comment Macron abîme la démocratie en France ?

Francoise Riviere
9 Min Read

La France est entrée dans un état marxien de pré-insurrection. La contestation ordonnée de l’âge de la retraite s’est transformée en une crise plus profonde du régime, la violence politique se nourrissant de la répression politique dans un cercle vicieux dont on ne voit pas l’issue.
Ce n’est pas parce que le peuple français a un penchant pour les émeutes. C’est la structure même de la Cinquième République qui rend la France vulnérable aux explosions de colère. La Constitution crée un poste présidentiel cromwellien surpuissant qui invite aux troubles.
Le texte, adopté à toute vapeur par Charles de Gaulle en 1958, confère au président français des pouvoirs considérables lui permettant d’émasculer le parlement et d’adopter des lois par décret (article 49.3) – un “gouvernement qui sait gouverner”, comme il l’a déclaré.
Lorsque ce pouvoir est utilisé de manière abusive, ou qu’il est perçu comme tel, l’Assemblée nationale est fatalement réduite à l’état de vase clos. L’opposition n’a plus qu’à descendre dans la rue. Cette situation a conduit à une police agressive et pathologiquement encline à la violence. La police française a tiré 4 000 grenades lacrymogènes sur les manifestants qui protestaient contre un trou dans le sol dans les Deux-Sèvres au cours du week-end, soit deux obus pour chaque défenseur des arbres.
Emmanuel Macron a choisi de s’appuyer sur les décrets comme méthode de gouvernement depuis qu’il a perdu sa majorité à l’Assemblée en juin dernier, plutôt que d’accepter qu’il n’a plus les voix pour son attaque néolibérale contre le modèle français sacré.
En cela, il se trompe de mandat. Les Français l’ont élu – faute de mieux – pour faire barrage à Marine Le Pen et à son Rassemblement de la droite dure, et non parce qu’ils approuvent son thatchérisme détesté. Quelques semaines plus tard, ils ont qualifié sa victoire de manière catégorique en privant son parti de son pouvoir législatif.
C’est une chose de passer outre le Parlement sur des questions mineures. C’en est une autre d’imposer une réforme radicale du système de retraite bien-aimé à l’écrasante majorité du pays, après avoir perdu l’argument national.
Plus de 72 % des Français s’opposent à son projet, et leur opinion se durcit à mesure qu’ils en apprennent les détails. “C’est un abus de démocratie : que cela se termine par un 49:3 me paraît incroyable et dangereux”, a déclaré Laurent Berger, responsable du principal syndicat (CFDT).
Les Français étaient ouverts à une réforme sur le principe. Un consensus de travail aurait pu être trouvé avec la bonne alchimie politique. Mais l’idée que Macron se fait de la concertation, c’est de faire la morale aux lents.
Il a refusé à chaque étape de discuter avec les syndicats, alliés en un seul front pour la première fois depuis l’insurrection parisienne de mai 1968. Pendant deux mois, ils ont effectué d’énormes marches kaléidoscopiques dans les villes de France. Ils l’ont fait avec discipline et un grand esprit civique. Cela n’a rien changé. Les gilets jaunes ont obtenu davantage en menant une guérilla.
M. Berger avait prévenu que la France éclaterait si l’Elysée refusait tout compromis, et c’est ce qui s’est passé. Cinq des sept raffineries du pays sont fermées pour cause de grève. Au moins 42 départements sont à court de carburant. Les trains et les vols sont perturbés depuis des semaines. Quelque 7 200 tonnes d’ordures ne sont pas ramassées dans les rues de Paris. Le pays en est au dixième jour de ce qui s’apparente à une grève générale.
La réaction calamiteuse de M. Macron à cette insolence a été d’aller à la télévision pour comparer les manifestants – dans l’esprit, les deux tiers de la France – aux foules trumpiennes qui ont pris d’assaut le Capitole dans un complot visant à renverser la démocratie américaine. Cela n’a pas été bien perçu.
Par strict rationalisme économique, on ne peut reprocher à Macron d’avoir tenté de faire passer l’âge de la retraite de 62 à 64 ans et d’avoir ébranlé un système de pension conçu pour une époque où l’on mourait à 70 ans.
“Quand j’ai commencé à travailler, il y avait 10 millions de retraités. Aujourd’hui, il y en a 17 millions, et dans les années 2030, il y en aura 20 millions. Pensez-vous que l’on puisse continuer avec les mêmes règles ?
Les hommes français quittent la vie active à l’âge moyen de 60,4 ans et peuvent alors s’attendre à 23,5 années de jardinage et de longs déjeuners, tandis que les femmes peuvent espérer 27,1 années. En Allemagne, ces chiffres sont respectivement de 20,1 et 23,1 ans.
Ils peuvent prendre une retraite rémunérée à 62 ans avec une moyenne de 74 % de leur ancien salaire, contre 29 % en Grande-Bretagne pour les pensions publiques. Le coût pour l’État s’élève à 14 % du PIB, contre 10,1 pour l’Allemagne, 7,1 pour les États-Unis et 6,2 pour la Grande-Bretagne. Il s’agit d’un vaste transfert intergénérationnel des jeunes vers les vieux.
Il laisse également la France sur une trajectoire d’endettement ruineuse. “Financièrement, nous sommes dos au mur et nous avons le couteau sous la gorge”, a déclaré Agnès Verdier-Molinié, de l’Institut français de recherche sur les administrations publiques (IFRAP).
Selon elle, le pays a été anesthésié par les taux zéro et les achats d’obligations dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, qui ont absorbé 300 milliards d’euros (264 milliards de livres sterling) d’émissions annuelles de dette. Les habitudes de quoi qu’il en coûte ont conduit l’année dernière à subventionner sans discernement l’électricité, le gaz et l’essence pour les riches comme pour les pauvres, renforçant ainsi le sentiment que l’argent public n’a pas de limites.
“Nous sommes à la fin de l’argent magique. Les risques financiers qui pèsent sur la France sont énormes”, a-t-elle déclaré.
En 2007 encore, le ratio dette/PIB de la France était inférieur à celui de l’Allemagne : 64 % contre 65 % (données du FMI). Cette année, la France aura un ratio de 113 % et l’Allemagne un ratio de 68 %. Selon le FMI, le ratio d’endettement de la France continuera d’augmenter au cours des années 2020, bien après que ses pairs se soient repliés, à moins que quelque chose de fondamental ne change. Cette divergence rend l’union monétaire irréalisable à terme.
M. Macron a promis un “grand marché” avec l’Allemagne lorsqu’il a fait irruption sur la scène européenne en 2017. La France prendrait le taureau par les cornes avec sa version des réformes Hartz IV de l’Allemagne, et deviendrait un partenaire idéal pour le condominium de l’euro : en échange, Berlin abandonnerait sa résistance à l’union fiscale (c’est-à-dire aux dettes partagées) et accepterait enfin d’établir l’euro sur des bases viables.
Sans réforme des retraites, le grand accord est mort, et les ambitions encore plus grandes de M. Macron pour une Europe “souveraine” s’éloignent. Alors oui, les enjeux sont importants.
M. Macron ne propose aucune issue à ce bourbier. Il refuse de retirer le plan de retraite et de revenir à la case départ. Il refuse également de dissoudre le Parlement et de régler la question par de nouvelles élections, sachant que son parti Renaissance serait écrasé.
Si les sondages ne se trompent pas, la prochaine Assemblée sera un véritable chaos entre la droite dure et la gauche dure, un peu comme le Reichstag allemand en juin 1932. Mme Le Pen commanderait la plus grande force et pourrait devenir Premier ministre en vertu des règles de “cohabitation”.
Le principal résultat de l’incroyable manque d’instinct politique de M. Macron est de faire de l’ancien Front national la première force électorale de France.

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