Pour la France d’aujourd’hui, il n’existe pas de relation bilatérale aussi complexe et tourmentée que celle avec l’Algérie. C’est un mélange de la mémoire des crimes du colonialisme et d’une guerre d’indépendance sanglante, de ressentiments et de griefs qui ne s’éteindront jamais, et en même temps la réalité de deux sociétés étroitement imbriquées. Il y a un an, les critiques d’Emmanuel Macron sur l’utilisation politique de l’histoire par les autorités algériennes et la réduction des visas ont déclenché une crise entre les deux pays. Macron s’est rendu à Alger pour « refonder » la relation.
Le voyage de Macron, le premier en cinq ans, intervient à un moment de tensions mondiales où l’Algérie bénéficie de nouveaux leviers d’influence. En raison de sa proximité avec le Sahel, en plein retrait français. En raison de sa capacité à vendre du gaz à l’Europe face à la fermeture prévue des exportations russes. Et en raison de sa proximité historique avec la Russie, aujourd’hui en guerre avec l’Ukraine et déterminée à affirmer son influence en Méditerranée et au Sahel, les vieilles cours de Paris. La France craint de perdre un pied dans la région, et a donc besoin de s’entendre avec Alger sur les questions stratégiques et de sécurité.
Accompagné d’une délégation de près d’une centaine de personnes (hommes politiques, hommes d’affaires, artistes, autorités religieuses, universitaires), Macron veut approfondir ce qu’il appelle la « réconciliation des mémoires ». Il fait référence à l’effort pour surmonter les réticences, issues du colonialisme et de la guerre, entre Algériens et Français, et entre Français d’origines différentes. La lecture du passé est différente, parfois antagoniste, selon qu’elle est faite depuis Alger ou Paris, ou qu’elle est faite en France par un enfant d’immigrés algériens ou un descendant des pieds-noirs, ces Européens nés dans l’Algérie coloniale qui ont dû fuir lors de la proclamation de l’indépendance, dont on vient de commémorer le 60e anniversaire.
Lors d’une apparition commune après la première rencontre, Macron a exprimé le désir de « tourner une nouvelle page », et Tebún a déclaré vouloir « insuffler une nouvelle dynamique à cette relation ». Les deux présidents ont convenu de charger une commission d’historiens, issus des deux pays et ayant accès aux archives, de travailler ensemble sur l’histoire commune, de la colonisation à la guerre de libération. « Sans tabou », a déclaré Macron. « Nous n’avons pas choisi le passé, nous en avons hérité, c’est un bloc, nous devons le regarder et le reconnaître », a-t-il expliqué, « mais notre responsabilité est de construire notre avenir ».
Macron a discuté avec Tebún de l’influence russe en Algérie et en Méditerranée, et a utilisé, comme lors de son dernier voyage en Afrique subsaharienne, une rhétorique anticoloniale pour parler de la guerre en Ukraine, “qui voit sa souveraineté violée et son territoire occupé par une puissance impériale qui mène une guerre d’agression contre elle”. La source de l’Elysée a assuré que la fourniture de gaz n’était pas initialement au programme du voyage en Algérie.
« Évidemment, nous voulons tout ce qui peut contribuer au calme ». Dans un récent discours, le roi du Maroc Mohammed VI a exhorté les pays qu’il n’a pas nommés à « clarifier » leur position sur le Sahara occidental, un territoire sur lequel le Maroc revendique la souveraineté, tandis que l’Algérie soutient les partisans de l’indépendance. Le message du monarque a été compris comme étant adressé à la France, supposée plus ambiguë aujourd’hui que l’Espagne sur le Sahara. L’Elysée répond : « Nous considérons le plan d’autonomie marocain comme une base de discussions sérieuses et crédibles en vue d’une solution négociée ».
Au Maroc, cette visite de Macron en Algérie est très mal perçue. Le Maroc s’était habitué à des relations privilégiées avec la France. Macron n’a pas de sensibilité maghrébine. Cependant, il est obsédé par l’Algérie et pense réussir à apaiser les relations franco-algériennes. Les aspects politiques et protocolaires de la visite, et toute la question de la mémoire et de l’histoire et de la réconciliation, sont un peu le visage de la galerie. Il semble que la justification de ce voyage de trois jours soit liée à des questions stratégiques. L’Algérie est plus fragile parce qu’elle est l’amie des Russes : ce n’est pas très bien vu en ce moment, du moins en Occident. En même temps, grâce à cette guerre, le régime aura des revenus importants et il acquiert un nouveau rôle car il est un grand exportateur de gaz. Il a en effet de nouvelles cartes.
Historiquement, les relations de la France avec le Maroc, un ancien protectorat qui a obtenu son indépendance sans guerre, ont été moins orageuses qu’avec l’Algérie. Macron, en arrivant à l’Élysée en 2017, a entrepris de mettre fin au conflit mémoriel avec l’Algérie. Lors d’une visite à Alger en pleine campagne électorale, il déclare que la colonisation a été un crime contre l’humanité. Une fois au pouvoir, le jeune président a multiplié les gestes et les commémorations pour les victimes des deux camps. Pour Alger, cela s’est toujours avéré insuffisant. Tout ce processus a coïncidé avec le soulèvement populaire du Hirak et le durcissement du régime que les organisations de la diaspora en France ont dénoncé.
Les relations se sont détériorées à l’automne 2021 lorsque Macron, lors d’une rencontre avec des jeunes d’origine algérienne, a chargé contre « le système politico-militaire » qui gouverne l’Algérie depuis l’indépendance et a soutenu qu’il « s’est construit sur la rente de la mémoire ». En d’autres termes, l’utilisation par Alger des griefs du passé pour attiser la haine de la France. Le président français a également remis en question l’existence de la nation algérienne avant la colonisation. Alger a rappelé son ambassadeur à Paris et a coupé l’espace aérien aux avions militaires français se rendant au Mali. Dans les mêmes jours, la France a annoncé qu’elle réduisait de 50 % les visas annuels pour les visiteurs algériens (la mesure concernait également les Marocains). Ceci en représailles aux difficultés que posent tant Alger que Rabat, selon Paris, au rapatriement des migrants en situation irrégulière en France.
Environ 1 Français sur 10 a des origines algériennes, si l’on ajoute les enfants et petits-enfants d’immigrés, les pieds-noirs et les harkis (combattants algériens qui ont combattu aux côtés de la France). Des phénomènes tels que l’islamisme dans les banlieues françaises ou la montée de l’extrême droite de Le Pen, initialement liée à des groupes opposés à l’indépendance, ne peuvent s’expliquer sans l’Algérie.