Il semble que la gauche française n’ait pas encore dit son dernier mot. Après avoir été battue lors des élections présidentielles de mai dernier, les socialistes ayant notamment obtenu le pire résultat de leur histoire, la gauche renaît sous l’impulsion du leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon. En 13 jours et 13 nuits d’intenses négociations, la figure charismatique Mélenchon a pu réaliser le rêve de nombreux électeurs de gauche : parvenir enfin à l’union nécessaire de leurs représentants dans une même coalition, et la stratégie a porté ses fruits : la Nouvelle Union Populaire Ecologiste et Sociale (NUPES), la coalition qu’il dirige, a réussi ce dimanche à faire jeu égal en voix avec la liste du président Macron au premier tour des élections législatives et, ce faisant, ressuscite la gauche comme alternative politique.
Le dirigeant de gauche a profité des campagnes minimalistes de Macron et Marine Le Pen, finalistes de la dernière présidentielle, pour occuper le centre de l’attention médiatique. Il était impossible, dans les premières semaines de la campagne, d’allumer la télévision ou la radio sans tomber sur un représentant du NUPES ou sur Mélenchon lui-même, qui ne s’est jamais lassé de réclamer son droit à devenir Premier ministre de facto après s’être imposé comme la troisième force politique du pays avec 20,3 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Mélenchon a également réussi à installer l’idée que les élections de dimanche allaient être une sorte de troisième tour, rompant avec la logique habituelle selon laquelle les élections législatives sont l’occasion pour le camp présidentiel de consolider sa majorité au Parlement, en profitant de l’élan de la victoire. Le mot cohabitation, que l’on n’avait pas entendu depuis les années Chirac et Jospin, a fait un retour en force dans les discussions grâce à lui.
Macron a appelé ses compatriotes à choisir entre « une majorité stable et sérieuse » et un projet de gauche « de désordre et de soumission »
Macron sort de cette manière, affaibli du premier tour des élections législatives françaises face à l’avancée de Mélenchon. Face à la part croissante des voix de Mélenchon, la majorité présidentielle a réagi par une campagne de diabolisation. Sachant que Mélenchon, et non Le Pen, était son principal ennemi à battre, Macron a préféré exagérer les dangers de voter pour son rival plutôt que de le confronter à des propositions. Dans une interview, le président de la République a, par exemple, appelé ses compatriotes à choisir entre « une majorité stable et sérieuse » et un projet de gauche « de désordre et de soumission ». L’assaut est tel que même les médias gauches en France ont consacré leurs premières pages à démentir les fake news macronistes sur un Mélenchon qui, pourtant, continue de progresser, comme on le voit ce dimanche.
De son côté, Macron n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination et a opté pour la même stratégie qui lui avait réussi lors de la précédente élection : ne pas parler du programme et encore moins des questions les plus urgentes et les plus contestées, comme son intention de retarder l’âge de la retraite ou les revendications sur la revalorisation des conditions de soins de santé ou la lutte contre l’inflation. Il a ainsi évité d’avoir à rendre compte des nombreuses controverses qui ont entaché le début du mandat de Macron : qu’il s’agisse de l’accusation de viol portée contre le ministre de la solidarité, Damien Abad, de la gestion épouvantable par le ministre de l’intérieur de la finale de la Ligue des champions au Stade de France ou encore, plus récemment, du faux pas de la première ministre, Elisabeth Borne, surnom porté par ses anciens collègues, lorsqu’elle a recommandé à une femme en fauteuil roulant n’ayant pas accès aux aides publiques de trouver un emploi.
La clé de la victoire de la gauche : sa capacité à combiner l’ascendant croissant de Mélenchon avec l’importante présence territoriale des socialistes et des communistes
Le silence du président, qui ne s’est déplacé que deux fois durant toute la campagne, et sa volonté de rester vague sur son projet, il s’est limité ces derniers jours à annoncer la énième création d’un think tank, baptisé cette fois-ci Conseil national de la refondation, ont contribué, selon les analystes, au climat de désaffection et au désintérêt général pour ces élections, inscrites dans la Constitution française comme les plus importantes de la République. En fait, l’abstention a établi un nouveau record, atteignant 53%.
La clé de la victoire de la gauche a été sa capacité à combiner l’ascendant croissant de Mélenchon avec l’importante présence territoriale des socialistes et des communistes. Tout le monde a donc gagné, puisque la gauche est devenue la première force d’opposition, avec entre 180 et 210 députés, selon une projection de l’Ifop. Il ne reste plus qu’à voir l’étendue de leur force électorale au second tour et, surtout, comment se traduira l’union des différents groupes qui auront leurs propres groupes à l’Assemblée nationale, et si les différentes sensibilités sur des questions comme l’Union européenne ou le nucléaire, par exemple, seront à nouveau exploitées par la droite.
Le camp Macron pourra récolter au second tour
Après le premier tour des élections législatives, le président français Macron doit craindre pour la majorité absolue de son camp centriste. Et avec l’alliance de gauche « Nupes », il a un nouvel adversaire principal. Peu après sa réélection, le chef de l’Etat français Emmanuel Macron doit s’attendre à ce que les futurs rapports de majorité à l’Assemblée nationale lui rendent difficile un « passage en force ». Lors du premier tour des élections législatives, l’alliance gauche-verte « Nupes » de Jean-Luc Mélenchon a obtenu presque autant de voix (25,7 pour cent) que le camp du centre « Ensemble » du président (25,8 pour cent). Selon les chiffres officiels, la différence n’était que de 21.442 voix, sur environ 48,7 millions d’électeurs.
Toutefois, le système électoral compliqué entraîne des différences parfois graves entre les pourcentages et la répartition des sièges. Car au final, seules les voix du vainqueur dans chaque circonscription comptent. Les instituts de sondage estiment que le camp Macron pourra récolter au second tour, dimanche prochain, de nombreuses voix d’électeurs dont les candidats préférés ont été éliminés au premier tour.
Les partisans de Macron devraient ainsi obtenir entre 255 et 295 sièges sur un total de 577 au Parlement, au moins 289 sièges sont nécessaires pour obtenir la majorité absolue. Malgré son bon score, l’alliance de gauche « Nupes » ne devrait obtenir que 150 à 210 sièges. Si Macron perd la majorité absolue, il devra régulièrement courtiser d’autres camps et accepter beaucoup plus de compromis, par exemple sur la réforme prévue des retraites.
Selon Mélenchon, « La vérité, c’est que le parti présidentiel est battu et défait au premier tour »
Mélenchon a donc déjà évalué le résultat des élections comme un net revers pour son adversaire Macron. « La vérité, c’est que le parti présidentiel est battu et défait au premier tour », a-t-il déclaré dimanche soir à Paris. La populiste de droite Marine Le Pen s’est montrée optimiste quant à la possibilité pour son parti, le Rassemblement national, de former à l’avenir son propre groupe parlementaire. Pour cela, 15 députés sont nécessaires, son parti obtient, selon les estimations actuelles, entre dix et trente sièges.
La Première ministre Elisabeth Borne, récemment promue par Macron, a appelé à une « semaine de mobilisation » en vue du second tour. Elle et 14 autres membres du gouvernement se sont eux-mêmes présentés aux élections législatives et risquent de perdre leur poste au sein du cabinet s’ils ne gagnent pas dans leur circonscription. Il n’est pas certain que la majorité des Français se mobilise réellement. Dimanche, beaucoup se sont en tout cas montrés fatigués de voter, la participation est à nouveau tombée à un niveau très bas. Moins d’un électeur sur deux a voté.