L’affaire McKinsey peut-il réduire la chance de Macron de gagner la présidentielle ?

Remy Legaros
9 Min Read
L’affaire McKinsey et la possibilité de réduire la chance de Macron de gagner la présidentielle

C’est une véritable épine dans le pied d’Emmanuel Macron dans les derniers jours de cette étrange campagne pour l’élection présidentielle des 10 et 24 avril. La controverse alimente la guerre des nerfs contre le président français, favori pour sa réélection, et la crainte dans ses propres rangs que sa principale rivale, la candidate d’extrême droite Marine Le Pen, réussisse à surprendre le monde entier. On l’appelle l’affaire McKinsey, et sur les réseaux sociaux, on parle avec insistance du McKinsey-gate, du nom de la société de conseil américaine qui, comme d’autres secteurs économiques, a bénéficié pendant des années de contrats de l’administration publique française.

“Scandale d’État ! ” s’écrient certains rivaux de Macron, alors que les pratiques qui lui sont reprochées, c’est-à-dire le recours croissant de l’État à des consultants externes et privés, ne sont ni illégales, ni nées avec le président en fonction, ni n’ont produit de preuves de corruption, ni propres à la France.

Le Sénat, dominé par l’opposition conservatrice, a publié le 17 mars le rapport final d’une commission d’enquête aux données saisissantes. De 2018, date à laquelle Macron vient d’arriver à l’Elysée, à 2021, les dépenses du gouvernement français en société de conseil sont passées de 380 millions d’euros à 894 millions d’euros. Ce chiffre dépasse un milliard d’euros si l’on inclut les autres organisations publiques.

L’exécutif a annoncé pendant une conférence que le recours à des sociétés de conseil est un acte « habituel et utile ». Mais en même temps le président de la commission d’enquête du Sénat a souligné au sujet de cet affaire que « le gouvernement n’a toujours pas compris que le phénomène interroge toute la société. C’est un phénomène tentaculaire qui donne le vertige ». Cela n’a cependant pas répondu de manière convaincante aux controverses croissantes autour du cabinet McKinsey & Company.

« McKinsey Company et McKinsley SAS n’ont pas payé un euro d’impôt pendant les dix années passées

Le texte, présenté le 16 mars par la commission d’enquête du Sénat, dénonce la dépendance du gouvernement actuel vis-à-vis des cabinets de conseil et l’optimisation fiscale pratiquée par la société américaine. A cet égard Arnaud Bazin, le président de la commission d’enquête du Sénat a ajouté que « McKinsey Company et McKinsley SAS, les deux sociétés principales, n’ont pas payé un euro d’impôt pendant les dix années passées. C’est un fait établi. Alors maintenant, on nous évoque une autre société dont on ne connaît même pas le chiffre d’affaires ni les bénéfices, qui aurait payé un peu d’impôt sur les sociétés. C’est vraiment se ficher du monde ». Ainsi, les dépenses de conseil des ministères sont passées de 379,1 millions d’euros en 2018 à 893,9 millions en 2021.

« Vous avez l’impression qu’il y a quelque chose de trouble, mais ce n’est pas vrai », a déclaré Macron le week-end dernier, encourageant toute personne ayant des preuves de méfaits à les signaler aux autorités. Il a fait valoir que les politiques en matière de marchés publics avaient été suivies à la lettre et que la France avait eu besoin d’une aide supplémentaire pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les ministères et les fonctionnaires étaient mis à rude épreuve. Cela n’a pas satisfait les rivaux de Macron, notamment parce que McKinsey était impliqué dans le déploiement du vaccin Covid-19, considéré comme terriblement lent dans ses premières phases. Certaines critiques font allusion à une possible criminalité, d’autres soulignent ce qu’ils considèrent comme des dépenses irresponsables et un rapprochement avec des entreprises connues pour leurs prix élevés.

Jean-Luc Mélenchon : « Avec moi, fini les cabinets de conseil »

Les frais journaliers des consultants s’élèvent à environ 1 500 €. Ils peuvent atteindre 3 000 €, soit un montant considérablement plus élevé que les salaires des cinq millions de fonctionnaires français. “Avec moi, fini les cabinets de conseil”, a déclaré lundi le candidat de l’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, tandis que la dirigeante d’extrême droite du parti Rassemblement national, Marine Le Pen a dénoncé un « scandale national ».

Le journal français Le Monde a rapporté que McKinsey avait été payé près d’un million d’euros pour un rapport sur la réforme des retraites qui se résumait à une présentation Powerpoint et un document de 50 pages. Une enquête menée par le média en ligne Mediapart a révélé que les relations de Macron avec McKinsey ne datent pas d’hier. Elle affirme que le cabinet avait travaillé pour la société gratuitement lorsque Macron est devenu ministre de l’économie en 2014.

Pour une partie de l’électorat, Macron reste au fond un « banquier », puisqu’il a travaillé dans la banque Rothschild avant d’entrer en politique, et le « président des riches », en raison de ses réductions d’impôts pour ces gens. Le label McKinsey correspond parfaitement à cette caricature. Et d’autre part, au milieu l’espace électoral, tous ces sujets renforcent l’image que certains rivaux dessinent de lui : le président néo-libéral et élitiste qui, durant son quinquennat, a voulu gérer la France et comme une entreprise privée ou une start-up (L’Etat en mode start-up avec une préface Emmanuel Macron était le titre d’un livre publié en 2017 et une contribution d’un des dirigeants de McKinsey).

La situation soulevait des questions sur la « souveraineté de l’État face aux entreprises privées »

Macron reste le favori avant le premier tour de scrutin du 10 avril. Mais il a légèrement baissé dans les sondages. Sa principale rivale, la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen, a visité des communautés dans la France rurale et s’est concentrée sur une seule question : l’augmentation du coût de la vie, aggravée par la guerre en Ukraine et la hausse des prix du carburant. Marine Le Pen et la plupart des autres opposants politiques de Macron se sont emparés des cabinets de conseil pour accuser Macron de vendre l’État. Le rapport du Sénat a déclaré que la situation soulevait des questions sur la « souveraineté de l’État face aux entreprises privées » et sur « la bonne utilisation des fonds publics. »

Le recours croissant à des consultants privés et confidentiels renforce également l’impression du style de gestion de Macron. En tant que président, il a adopté, plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs, la concentration des pouvoirs accordée à la présidence dans la Cinquième République française. Pendant sa présidence, ainsi que pendant sa campagne de réélection, Macron a gouverné en grande partie dans le secret, s’appuyant sur son bras droit, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler.

Mais à quel point cela peut-il être grave pour Macron ?

À un certain niveau, la critique semble exagérée. De nombreux pays font appel à des consultants, et la France dépense moins que certains de ses voisins européens comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne. En 2020-2021, le gouvernement britannique et d’autres organisations ont passé des contrats avec des consultants pour un montant de 2,5 milliards de livres, principalement en réponse à la crise du Covid. Et l’habitude de se tourner vers des sociétés de conseil privées pour soutenir le secteur public a pris son essor en France sous Nicolas Sarkozy en 2007, une décennie avant l’entrée en fonction de Macron.

Si le rapport du Sénat s’est concentré sur McKinsey, le gouvernement français a également fait appel à d’autres sociétés de conseil non américaines, telles que la société française Capgemini et la société britannique EY. Mais la combinaison de l’expérience bancaire de Macron, d’une méfiance profondément ancrée à l’égard des grandes fortunes américaines et d’un attachement aux services publics a mis le président sortant sur une situation défensive pour le moment.

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